La ville des gens : 22/avril

Vue sur les toits : le logement dans le 19ème


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Après l’urbanisme, le logement. Il y aurait crise au niveau national, qu’en est-il près de nous, dans le 19ème ? Enquête.

En 35 ans, la situation du logement a radicalement changé dans le 19ème : 54% du parc de 1990 a moins de 30 ans, 48% des logements anciens ont disparu. Moins d’inconfort et d’insalubrité, mais aussi des loyers plus élevés et des quartiers très denses.

Dans ce grand chambardement, le 19ème est resté un arrondissement populaire. Les opérations de standing ont attiré des populations aisées, qui s’ajoutent à celle des "beaux quartiers" des Buttes Chaumont, mais 27% du parc est HLM (12% sur Paris). Le 19ème est aussi un des moins chers à l’achat, mais prix et loyers restent bien parisiens…

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De 1908 date cet ensemble HBM de la rue de Belleville, construit par la Fondation Rothschild. Façades très travaillées, mais petits logements.


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Un plan-type d’HBM : on vit dans la cuisine, le WC est intérieur, pas encore de salle de bains…


De la plaine de la Villette aux buttes de Belleville, l’habitat du 19ème est très varié. Immeubles haussmanniens ou simples façades enduites du XIXème, maisons fleuries de la Mouzaïa ou beaux ensembles HBM [1] du début de siècle, hautes tours de la place des fêtes ou plus subtiles constructions HLM (devenues PLA ou PLI) sur les bassins : le logement a été modernisé, agrandi, mais peut-être aussi banalisé.

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Façades ornées des beaux quartiers… deux immeubles rue Manin, face aux Buttes. Tout début de siècle, et un même architecte de renom, Mathurin Moreau.

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Pourtant, la crise est là : impayés de loyer, 10 ans d’attente parfois pour un HLM, des familles entassées dans des logements vétustes, logements vides car trop chers ou dégradés, cités HLM tournant au ghetto : des sujets délicats abordés au CICA d’octobre 96.

Quelques chiffres (INSEE 90)
165 132 habitants
74 820 résidences principales
20 341 HLM
34 356 autres locations
16 777 propriétaires occupants

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L’hôtel meublé Émeraude ne déparait pas dans la rue Compans. Mais ses propriétaires successifs l’ont laissé devenir insalubre. 45 familles y habitent des chambres de 11 m2. Plusieurs des 140 enfants présents sont atteints de saturnisme. Le DAL a dénoncé la situation et pousse au relogement des familles. La mairie du 19ème avait en vain demandé à la Ville de racheter l’immeuble, mis en vente en novembre 96 - Photo Martine Liotard.



Une crise qui renaît

Expulsions rue Petit pour cause d’insalubrité, c’était il y a 5 ans (Quartiers Libres n°49). Il y a 3 ans, un immeuble ravagé à l’aube par un marchand de sommeil rue d’Hautpoul. Et cet été, rue Compans, des enfants atteints de saturnisme (voir l’article sur le récent rapport de Médecins du Monde). Actualité répétitive qui révèle, en plein Paris, un habitat d’un autre âge (en 1954 déjà, l’Abbé Pierre gueulait contre les taudis).


7000 demandes de HLM

Les chiffres sont clairs : 7000 demandes en 1996, 2600 logements attribués. Les mal logés le restent, parfois 10, 15 ans (1/ 4 depuis plus de 5 ans).

Ce qui manque à l’évidence : des logements économiques, dans le parc HLM bien sûr, mais aussi dans le parc privé ancien. Beaucoup d’immeubles locatifs ont été mis en copropriété, hôtels meublés et garnis ont disparu, et le parc HLM ne peut à soi seul couvrir les besoins.

Pendant les "30 glorieuses", le pays s’est doté d’un parc social qui a permis de régler la crise de l’après-guerre. Depuis 1980, la construction baisse, la pauvreté gagne avec le chômage et la précarité : il y aurait 6 millions d’exclus en France en 1996 (dont 85000 SDF). Les logeurs sociaux demandent des revenus réguliers que beaucoup de familles n’ont plus.

De plus, Paris compte 100 000 logements vides, dont 6 000 dans le 19ème. À 80%, ce sont de petits logements anciens, que les propriétaires ne louent pas par crainte des impayés de loyers et des travaux à faire. Les logements existent, mais pour de multiples raisons, beaucoup de gens ne peuvent y accéder. Cela concerne d’abord les plus démunis, mais aussi les couches moyennes, qui ont à choisir entre des loyers prohibitifs et les lourdes charges d’une copropriété. Le PLI devait répondre à ce besoin nouveau, mais le niveau des loyers et charges est tel que les locataires y restent peu.

Louis Besson, nouveau ministre du logement, est auteur d’une loi de 1990 qui tentait d’organiser le logement des plus démunis : les urgences demeurent, mais le problème est plus global.

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Du logement social récent. haut de gamme : ici les PLI de la RIVP, rues Mille et Delesseux, tout près de la Villette. Confortables, mais chers. avec un chauffage électrique qui alourdit encore les charges - Photo M. Liotard.


Mal logés, sans abri : des mesures institutionnelles

Pour les plus démunis ont été créés les logements PLA-ts [2], mais ils sont rares, 36 sur les logements attribués en 1996.

Autre essai : par les POPS [3], des logeurs HLM s’engagent à loger des familles en grande difficulté, 157 en 1996 dans le 19ème. Avec le risque de concentrer les problèmes de toutes sortes dans un habitat déjà trop dense.

La piste du parc privé a aussi été tentée. Depuis les années 80, l’État incite, par des OPAH [4], les propriétaires privés à remettre en état et louer à prix conventionnés. La dernière OPAH qui englobait les abords du bassin de la Villette s’est achevée en 1996. D’autres procédures permettent de reloger les occupants de logements déclarés insalubres comme rue de Nantes actuellement. Le règlement de cette nouvelle crise du logement ne va pas venir du seul logement social ni du nécessaire effort de construction 1 réparation. Des solutions adaptées à la diversité des problèmes devront intégrer une politique d’ensemble qui reste à définir…

Sans attendre un cadre national, plusieurs associations se sont lancées dans l’insertion par le logement. Certaines existent et sont nées dans le 19ème, sur quelques idées simples (l’État ne peut pas tout faire, le citoyen est concerné, il faut inventer).

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Rue Petit, un Bar des amis bien décati. L’insalubrité menace, mais ces immeubles anciens. hôtels meublés et garnis. fournissaient un très utile logement pas cher - Photo M.A.A.


Logements-passerelles

SNL, Solidarité Nouvelle par le Logement, va fêter son 200ème logement provisoire, dont 22 dans le 19ème. Cette association y est née en 1988, d’un petit groupe actif dans Solidarité Nouvelle face au Chômage.

Le principe : acheter des logements, les louer pour un an ou deux à des personnes en difficulté, le temps qu’elles trouvent un logement stable, et les accompagner dans cette période. Un logement-passerelle qui nécessite des fonds, des militants durables et, à la sortie, des logements économiques (en général des HLM), mais aussi une solide réflexion sur ce qu’on veut faire et comment. Un premier studio avenue Jean Jaurès a été acheté avec les économies du groupe. Puis un réseau s’est formé dans le quart Nord-Est de Paris, et a essaimé (35 groupes sur Paris et l’Essonne). Chaque groupe suit un quartier et les personnes logées. Prêts sans intérêt sur 3 ans, dons et, depuis peu, subventions (les logement ont le statut de PLA-ts) financent achats et remises en état, avec si peu d’emprunts (15%) que le loyer peut rester très bas.

Tout est affaire de réseau, de relation directe et de confiance, et il n’y a pas d’impayés de loyer. Les mairies commencent à collaborer, ainsi que les services sociaux, les paroisses, les associations (la Moquette, l’association de SDF dont est issue la Rue, également basée dans le 19ème, ou récemment la Bellevilleuse).

Depuis 4 ans, SNL essaie d’organiser la sortie avec des logeurs HLM (des petites sociétés comme la SA du Moulin Vert, les grandes restent méfiantes). Des propriétaires contribuent en louant ou mettant à disposition des logements. L’objectif est de rester dans le quartier d’origine, avec un loyer modique.

Les personnes logées par SNL sont plutôt des personnes seules (les logements vides sont petits), mais aussi quelques familles, en F3 et F4 (comme bientôt rue de Meaux). Il n’y a pas de demande directe, mais des contacts personnels préalables avec les groupes et le réseau alentours : le "contrat de confiance" s’établit dans la durée, pas dans une procédure administrative.

Artisanalement, mais avec rigueur, SNL fabrique donc et gère du logement provisoire, bien adapté à un effort de ré-insertion. Des principes clairs font de cette association une structure très professionnalisée, bien que bénévole (1500 adhérents, 400 membres actifs, 7 emplois à temps plein) : saine gestion, frais réduits, formation des bénévoles, fonctionnement décentralisé, responsabilisation, pas de prise en charge totale de la personne logée : on est loin de la gestion classique par un organisme HLM.


Du propriétaire au locataire

Autre initiative plus récente, qui vise la location des nombreux logements vides sur Paris : à la mi-1996 a été créée une AIVS - Agence Immobilière à Vocation Sociale - (déjà 20 en France) qui, après des travaux minima subventionnés, loue des logements vacants à des familles à très faibles revenus (ce que le marché privé ne sait pas faire).

La stratégie repose aussi sur la confiance : 5 associations (dont SNL) assurent le suivi de locataires qu’ils connaissent déjà, et protègent ainsi le logeur des impayés.

Le pari : remettre sur le marché parisien 120 logements en 3 ans. Déjà 20, dont 1 dans le 19ème (et surtout dans le quart Nord-Est). Les mairies d’arrondissement collaborent, et on devine la possibilité de fédérer ces micro-initiatives locales, par un intense travail de terrain et un cadre législatif rénové…

Des HLM pas toujours blêmes L’OPAC et 8 sociétés HLM (dont surtout la RIVP, la SAGI et la SEMA VIP) gèrent le parc social parisien. Le 19ème (6ème arrondissement le plus peuplé) a le plus de HLM après le 13ème. Le logement y est globalement confortable, plutôt grand (grâce aux normes HLM, alors qu’on loge petit dans Paris) et parfois d’une architecture remarquable (ensembles anciens, politique innovante de la RIVP).

Les logements sociaux sont nombreux, mais peu libres : longtemps, on ne faisait que passer en HLM, maintenant on y reste, car se loger à Paris est difficile. Et comme on construit peu, les logements offerts sont rares et l’attente longue.

Autre source de pénurie, l’inadaptation aux besoins. À Paris, 50% des logements sociaux neufs sont des PLI. Mais ces loyers sont trop proches du privé et parfois les logements restent vides.

Quelques chiffres : attributions 1996
2679 logements attribués sur le 19ème
dont 1783 proposés par la Ville
dont 36 PLA-ts et assimilés
parmi eux 232 attribués par la mairie du 19ème :
126 PLA+ 106 PLI
(dont seulement 4 grands PLA et 23 grands PLI
qui trouvent difficilement preneur car trop chers)


Une innovation qui s’use

Le logement social a 100 ans et doit s’entretenir, se rénover. La réhabilitation corrige souvent un manque d’entretien chronique ("les réparations tardent, le ménage est mal fait", dit l’ULOPAC sur Cambrai-Curial). Sur Armand Carrel (HLM de 1958 rue de Meaux) ou rue Alphonse Karr (HBM de 1932), des opérations sont en cours, mais les locataires refusent parfois l’augmentation de loyer qui en découle (comme au 41, rue de Flandre).

Défaut majeur des HLM : une gestion lointaine, lourde, opaque (jeu de mot devenu classique) dans les relations quotidiennes avec les locataires comme dans les attributions.

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Quai de Seine, beau site pour du logement social, et démonstration urbaine et architecturale avec l’architecte Yves Lion et la RIVP. Entre le bassin et le passage de Flandre, des ateliers d’artistes, des logements pour personnes âgées, des PLI et PLA, recomposent tout un ïlot - Photo M.L.


Le problème est structurel, lié à la grande taille des organismes logeurs et des quartiers (16 tours de 18 étages rue Curial, 7 tours de 24 étages Place des Fêtes, et 1950 logements dans les seules 4 tours de Flandre !). Ces densités induisent bruit, promiscuité, manque d’espaces de jeux, d’équipements et de parkings : défauts difficiles à corriger, on le voit sur Cambrai-Curial, où la procédure DSU [5] s’enlise.


Gestion locale !

La mairie du 19ème a attribué 50% du contingent de la Ville de Paris. Nouveauté sur Paris, ces attributions sont contrôlées par une Commission. Confrontée à des demandes directes urgentes, le 19ème demande à gérer 75% de ce contingent.


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Plan de logement quai de Seine : depuis les HBM, le progrès est patent, salle de bains, grand séjour, et ici balcon et vue sur l’eau !

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Les contrastes du 19e, avec cette contreplongée vers les tours de la place des Fêtes, depuis les villas fleuries de la Mouzaia.


Mais l’arrondissement n’a aucune maîtrise sur 9/10ème des attributions annuelles, ni aucun moyen institutionnel d’influer sur la programmation (moins de PLI, plus de PLA-ts, moins de densité !) ou les OPAH.

Quand on voit la richesse des initiatives locales, on peut espérer une décentralisation de la politique parisienne du logement et quelques mesures nationales pour les favoriser. En attendant, le logement est bien, pour les citoyens-habitants du 19ème, un sujet d’actualité…

Martine Liotard


Article mis en ligne en janvier 2014.

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