La ville des gens : 19/novembre

Visite gourmande du musée de l’éventail


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Quand l’artisanat se transforme en discipline artistique, un atelier d’un quartier populaire du 10e arrondissement devient un musée vivant.

Ce curieux musée monomaniaque réunit plus de huit cent pièces de collections du XVIIe au XXe siècle. Créé en 1893, l’atelier Hoguet expose plus que du vent puisque ce véritable conservatoire vivant est le prolongement d’un atelier de fabrication et de réparations en activité.

Le gourmand-pratique ne saura jamais qui, du cuisinier de la préhistoire accélérant les flammes du foyer avec une large feuille emmanchée sur un bois de coudre ou de l’élégante cavernicole éventant son visage pour en éliminer les gouttelettes de transpiration avec les rémiges d’un oiseau fraîchement plumé, est l’inventeur du premier éventail. Il a le loisir de suivre, de visu, la fabrication et l’histoire d’un outil à la fois composant de la batterie d’une cuisine rustique et élément du costume de l’élégante forçant le trait jusqu’à la sophistication.

Le curieux enrichit son érudition de la connaissance des trois catégories d’éventails : l’écran (sans mécanisme), appelé flabellum sous la Rome antique, l’éventail plié connu des sujets de l’Empire du Soleil Levant depuis le VIIe siècle sous le nom de sansu, l’éventail brisé, créé par les artisans de l’Empire du Milieu et rapporté par les Portugais à la fin du XVIe siècle. Ils sont tous issus des chasse-mouches primitifs des barbares des steppes, fabriqués de crins de cheval solidement attachés à un manche en cuir, en ivoire ou en bois précieux.

En l’Île-de-France, les tabletiers de Méru et de Noailles se font une spécialité du travail de l’os, de l’ivoire, de la nacre et des écailles pour la réalisation des montures.

L’assoiffé se souvient du plus grand éventail qu’il croisa dans les îles des tropiques ; c’est "l’arbre du voyageur" qui étale ses palmes en éventail. La plante salvatrice conserve une réserve d’eau à la base de ses larges feuilles pour désaltérer le chemineau imprévoyant.

Le gastronome amateur d’exotisme reste toutefois sur une prudente réserve ; il sait que l’éventail peut devenir une redoutable arme politique. Le 30 août 1827, le dey d’Alger, Hussein, intervient violemment auprès du Consul de France, Deval, pour obtenir le remboursement d’une dette en litige ; il s’emporte au point de le frapper de son éventail. La France, pour obtenir réparation de l’outrage, envoie l’escadre devant Alger. Celle-ci est accueillie à coups de canons. Conséquence d’un coup de chasse-mouches hasardeux, l’Algérie devient française pour cent trente-deux ans.

Le gourmet découvre que l’objet d’élégance pratique sert de support publicitaire à nombre de restaurants et de lieux de satisfaction gourmande. Il se délecte à la lecture du menu avalé au banquet du Syndicat des expéditeurs-exportateurs de légumes du département de la Manche. Le repas, digne des banquets des comices agricoles de la IIIe République, eut lieu à Cherbourg le 04 juillet 1965 et les convives se partagèrent :

Melon au Porto
Homard grillé
Turbot au vin d’Alsace
Gigot de pré salé rôti
Aiguillettes
Salade de laitue
Fromages variés
Ananas glacé
Café et liqueurs

Le tout fut arrosé de vins d’Alsace, de Bourgogne et de Champagne brut. Il y a fort à parier que l’éventail-menu servit opportunément pour rafraîchir les visages qui devaient leur couleur rouge à d’autres liquides que les embruns apportés par le vent du large.

Le fêtard se réjouit à la lecture de la publicité sur l’éventail du Rat mort, cabaret montmartrois de la Belle Époque : "Le Rat Mort est le coin le plus gai de Montmartre !". Il admire le visage des trois nymphes chargées d’animer la soirée : Gaby de Nerval, Lulu Delleau et Liane de Vries, oubliant que la boîte de nuit fut, avant 1900, un café littéraire réunissant les collaborateurs du Courrier Français, des écrivains et des hommes politiques tels Léon Gambetta, Henri Rochefort, Raoul Ponchon, Jean Lorrain ou François Coppée.

D’autres établissements suivent l’exemple du cabaret de la place Pigalle pour conforter leur notoriété auprès des dames soucieuses de la fraîcheur de leur teint : Le Raspoutine, les restaurants du Café de la Paix et du Royal, le Rabelais, impriment leur adresse et leur sigle sur des éventails que les convives satisfaites conservent ou transmettent à des amies avides de fréquenter des endroits si prévenants.

Le collectionneur de curiosité consulte le catalogue des pièces du XVIIIe siècle et découvre avec ravissement les scènes mythologiques et galantes du Triomphe de Vénus, de la Bacchanale dans laquelle vingt-neuf personnages rendent un culte endiablé à Bacchus. Il partage les divertissements de l’Assemblée des Dieux dans un paradis riche en vignes et en plaisirs de la table et de l’alcôve. Il se repose avec les quatorze hôtes de l’Auberge flamande et rêve au Banquet de Triptolème, inventeur de la charrue, en compagnie de Déméter, déesse athénienne de la culture agraire et de la récolte, serrant dans chaque main un épi et une faucille en contemplant l’or d’un champ de blés. Il songe à la fugacité existentielle devant les Trois Ages de la vie peints en triptyque avec une jeune fille souriante et une jeune femme et son âne encadrant une grand-mère et sa petite-fille. Carpe diem !


Jean-François DECRAENE


Bibliographie sommaire :
Roger Bordier, Les Éventails, Albin Michel, 1971
Thierry Vignals, Guide des combinaisons alimentaires, De Vecchi, 1994
Sylvie Girard, Guide des plaisirs de la table et leurs à-côtés, Scandéditions, 1980
François Schoeser, Gaufrette, Petit-Beurre et Chocolat, Flammarion, 1989
Marianne Saul, Des gâteaux fous, fous, fous, Flammarion, 1988


Recette :

Gaufrettes éventails

Cette friandise pâtissière accompagne souvent les glaces en boules servies dans des coupes translucides. On les mélange à des gaufrettes roulées appelées cigarettes russes. Les enfants s’amusent au goûter ; les garçons font mine de jouer les nababs orientaux en fumant les cigarettes et les filles s’identifient à des danseuses andalouses en s’éventant avec les gaufrettes éventails.

Mettre la farine dans une jatte en faïence. Ajouter le beurre en morceaux ramollis, les zestes râpés puis le sucre glace en pluie.

Ajouter les blancs, tels quels, bien séparés des jaunes qui ne seront pas utilisés dans la préparation. Mélanger le tout à la cuillère en bois jusqu’à obtenir une pâte bien lisse.

Pour une douzaine de pièces
- 250 g de farine de froment
- 250 g de sucre glace
- 250 g de beurre des Charentes
- 4 blancs d’œufs
- 100 g de zestes de citrons verts et de pamplemousses râpés.

Étaler la pâte au rouleau sur une serviette "nid-d’abeille" pour donner un dessin à petits carrés au verso. Abaisser jusqu’à l’épaisseur de 3 millimètres environ. Découper en cercle de 10 centimètres et faire des éventails en pliant chaque pièce en deux vers l’intérieur, pour avoir le dessin sur les deux faces.

Nota : Prévoir deux plaques pâtissières pour étaler chaque fournée sur une plaque froide Sur la plaque pâtissière froide et préalablement saupoudrée de farine, étaler régulièrement les éventails de pâte.

Glisser à four très chaud, thermostat à 9 ou 270° C, et laisser dorer 3 à 4 minutes. Sortir et laisser refroidir. Les gaufrettes deviennent cassantes.

Recommencer l’opération avec l’autre plaque pour terminer la pâte.

Les gaufrettes ainsi obtenues serviront d’accompagnement à une omelette norvégienne ou à des glaces en boules servies dans des coupes.

À déguster au dessert ou au goûter avec du sirop de grenadine, un lait-fraise ou un cocktail de fruits exotiques pour les enfants ou un rhum vieux de Marie-Galante pour les adultes.


Jean-François DECRAENE

Atelier Hoguet, Musée de l’Éventail
2, boulevard de Strasbourg Paris 10e

Site : Atelier Anne Hoguet - Musée de l'éventail


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Article mis en ligne en novembre 2014.

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