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Chronique musicale

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Belleville en musique


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On danse à la Courtille, vers 1800.


Il ne se rencontre que trois noms de musiciens dans la nomenclature des rues du 19ème arrondissement : Erik Satie, Darius Milhaud et Georges Auric, au voisinage des Buttes-Chaumont, et une demi-douzaine d’autres dans le 20ème, dont Olivier Métra (de l’autre côté de la rue de Belleville), Philidor, Schubert, Mendelsohn, Reynaldo Hahn et Louis Ganne honorés de courtes rues non loin du Cours de Vincennes.

Depuis plus de deux siècles, la musique a fleuri sur les pentes de Belleville et de Ménilmontant, et ce, sous les formes les plus diverses.

Au XVIIIème siècle, Mondonville est venu achever sa vie à Belleville, en 1772, après une carrière brillante de virtuose et de compositeur. Il en fut de même pour Favart, disparu en 1792 ; s’il n’a pas écrit une seule note, il a inventé un genre musical prolifique : L’Opéra comique sous la forme de nombre de livrets étincelants pour les meilleurs musiciens de son temps.

Dès cette époque, la musique coule à flots dans les tavernes, guinguettes et cabarets sur les pentes de la Courtille (du mot "courti", lieu champêtre où l’on se divertit, danse et boit) sous la forme de vaudevilles (airs ou "timbres"), pont neuf (airs populaires qui, à l’origine se chantaient sur le Pont-Neuf) et chansons.

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"Fanchon la vielleuse" vaudeville 28 nivôse an XI - d’après La Place.

On n’aurait garde d’oublier la silhouette de Fanchon la vielleuse (la vielle était un instrument très en faveur aux XVIIIème et XIXème siècles), émouvante et larmoyante héroïne d’un vaudeville (pièce avec chansons), créé le 28 Nivose An XI avec un succès considérable au Vauxhall d’hiver. Si l’auteur, Bouilly a sombré dans l’oubli, sa créature, elle, a connu une postérité inattendue grâce au café La vielleuse, au bas de la rue de Belleville, qui en perpétue le souvenir. À la fin du XVIIIème siècle, le Bœuf Rouge, le Coq Hardi, la Carotte Filandreuse prennent dans la faveur du public le relais du Tambour Royal de Jean Ramponeau, lequel remplaçait le cabaret des Marronniers, lieu de divertissement et de rendez-vous galants dont Beaumarchais s’est souvenu dans le 5ème acte du Mariage de Figaro (… les rendez-vous sous les marronniers… ).

Non loin, dans la rue Saint-Laurent - l’actuelle rue Rébeval, à la Barrière de la Chopinette - aujourd’hui, le métro Belleville, les contredanses et les musiques à la mode attirent les foules, ce qui fera dire à Mylord l’Arsouille, "héros" de la frénétique, et échevelée Descente de la Courtille, du mercredi des Cendres : "voir Paris sans la Courtille, c’est voir Rome sans le pape". Ce que ne fait que confirmer le dire du Guide des Dîneurs, en 1828 : "l’on y danse et l’on dîne, l’on y fait l’amour et l’on s’y balance, l’on y file le sentiment et l’on y soupe".

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Richard Wagner d’après Grätz.

Il est pour le moins inattendu que soit alors composée une pièce de circonstance : "la descente de la Courtille"… par un certain Richard Wagner, que l’on n’attendait assurément pas là.

Descendons gaiement La Courtille !
Dondons, cupidons,
Faisons nos
Derniers rigaudons !
Éteignons les brandons,
dont le dernier feu brille,
Au croc suspendons
Et les lardons
Et les dindons !
Hourras ! Hourras !

Le texte de ces couplets nous entraîne bien loin, il faut le dire, des brumes des Niebelungen.

Il compose ce morceau, manifestement alimentaire, au cours de son premier séjour parisien, 1839 - 1842, époque où le musicien connaît des jours sombres, réduit qu’il est à écrire des arrangements d’opéras pour cornet à piston, des transcriptions pour piano de "La Favorite" de Donizetti, mais
c’est aussi le temps, où concurremment, il met au net sa partition du "Vaisseau Fantôme", prémices de son grand œuvre. Ce n’est pas un des moindres paradoxes du personnage.

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Olivier Métra.

Une rue du 20ème perpétue le nom d’un compositeur qui eut son heure de gloire, Olivier Métra (1830 - 1889), dont les valses, "les Roses", "La vague", enchantèrent les bals du Second Empire.

Comment ne pas évoquer au passage Jean-Baptiste Clément (1836 - 1903) dont "Le Temps des Cerises", publié en exil en 1867, était sur toutes lèvres au temps de la Commune dans le Belleville révolutionnaire. Il tint les dernières barricades dont celle qui tomba en dernier à l’angle de la rue et du boulevard de Belleville. Il devait, beaucoup plus tard dédier l’illustrissime chanson à une ambulancière de la Commune.

Au XXème siècle, l’univers musical de Belleville et sa mythologie ne laissent pas de surprendre : sous la plume de Giacomo Puccini (1858 - 1924), dans son opéra "Il Tabarro" (Le Manteau), se développe une intrigue mélodramatique qui se déroule à bord d’une péniche amarrée sur un quai de Seine… Les amants malheureux y évoquent avec émotion les heures bénies qu’ils ont vécues, très jeunes, dans un Belleville qui tenait encore du village, où fleurissaient les guinguettes et sur les pentes duquel dévalaient cousettes et ouvriers bras dessus, bras dessous et cœur à cœur en direction de la grande ville, de leurs ateliers et usines, et remontaient de même, en chantant, le soir venu.

Dans un registre radicalement différent, il convient d’évoquer Olivier Messiaen (1908- 1992) qui a passé de longues années Villa du Danube. Œuvres pianistiques, Vingt regards sur l’Enfant Jésus, Catalogue d’Oiseaux où il joue en magicien des timbres et des rythmes, vocales (Petites liturgies de la Présence divine), d’un opéra d’amples proportions (Saint-François d’Assise) et d’un ensemble de compositions d’une inspiration grave, austère, qui tient une place très particulière dans le siècle.

Erik Satie d'après Jean Oberlé.Quant aux trois musiciens réunis par la volonté municipale dans un secteur rénové de l’arrondissement, ils le furent d’abord par l’amitié : l’aîné, Erik Satie (1866- 1925) qu’un de ses "disciples", Henri Sauguet dépeint, en ces termes : "Tel qu’il s’était voulu, il demeure : une énigme. Un fumiste pour certains, un créateur de formes, d’harmonies pour d’autres, un découvreur de routes nouvelles et de talents pour les esprits épris de curiosités, le musicien unique, original, essentiel enfin pour ceux qui considèrent le domaine des sons comme un langage… ".

Les titres de ses œuvres sont éloquents et procèdent de son esprit facétieux et foncièrement anticonformiste, en rupture avec les usages : "Véritables préludes flasques pour un chien", "Gymnopédies", "Embryons desséchés", "Socrate", "Relâche", "Parade", "Morceaux en formes de poires", "Trois valses distinguées du Précieux dégoûté", etc.

Et, il fut le "Maître" révéré, via "l’École d’Arcueil" de jeunes musiciens qu’avait précédé, dans son amitié Darius Milhaud (1892 - 1974) dont l’œuvre considérable aborde tous les genres : musique de chambre, piano, quatuors, mélodies - opéras "Médée", "Bolivar"- ballets : "Le Bœuf sur le toit", "La création du Monde" - des cantates, symphonies, concertos, musiques liturgiques - œuvres où sa nature généreuse, expansive, sa passion de la polytonalité se marient avec son lyrisme méditerranéen.

JPEG - 18.8 koDans une couleur plus légère s’inscrit l’œuvre de Georges Auric (1899- 1983), très jeune disciple de Satie dont les ballets "Les fâcheux", "Phèdre", "Le peintre et son modèle", des œuvres de musique de chambre et de nombreuses musiques de films se parent d’un éclat certain. Auric est un compositeur heureux. Il a fait partie avec Milhaud du groupe des Six, sous la houlette de Jean Cocteau, en compagnie d’Arthur Honegger, Francis Poulenc, Germaine Tailleferre, Louis Durey. Sur un terreau aussi divers où ont cohabité, hôtes momentanés, résidents ou musiciens simplement évoqués par une plaque de rue, la musique ne saurait tarir. Aujourd’hui, elle adopte mille formes d’expression, participe du brassage des continents et se manifeste sous les aspects les plus insolites. A nous de la trouver là où elle se cache ; elle a pour elle d’être la langue universelle et ce n’est pas peu de choses en ce temps-ci.


Michel Brunet


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Allée Darius Milhaud, Paris 19e.



Article mis en ligne en décembre 2013.

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