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La gazette des modes, 3 mai 1848

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Comment se vêtir pour aller aux barricades


Denise François poursuit avec esprit ses récits autour des évènements qui ont agité nos quartiers au cours des siècles ; Après la "révolte des chiffonniers en 1832 et le choléra en mai 1832" voici comment la gazette des Modes en 1848 conseille "les demoiselles".

JPEG - 46.7 koQuand sur Paris a plané une réelle incertitude, à l’approche des fêtes de fin d’année et que les habitants de notre bonne ville ont été troublés dans leurs préparatifs de leurs dîners de Noël et du nouvel an, il aurait été souhaitable d’enjoindre aux miséreux de prendre patience et de se résigner. Après le soulèvement populaire de cette fin février, l’effervescence de ces dernières semaines a échauffé les esprits les plus prompts à se rebeller. Les ouvriers des fabriques ont recommencé à s’insurger, les étudiants, toujours prêts à fanfaronner, se sont déclarés enclins à les soutenir et les gueux, selon l’accoutumée, se tiennent à l’affût pour jouir du spectacle et mettre le feu aux poudres.

JPEG - 26.1 koIl est cependant d’autres préoccupations que ces mécontentements passagers. À présent que nous avons abandonné pelisses et manteaux qui nous ont protégés des rigueurs de l’hiver, nous devons songer à nos tenues de la matinée. Si nos jeunes femmes coiffent chez elles un bonnet de lingerie orné de rubans de couleur tendre, elles s’enveloppent, plutôt qu’elles ne se serrent la taille, dans une redingote blanche bordée au cou comme au bas des larges manches, et dont la jupe ouverte sur un jupon brodé fait un peu la traîne par derrière ; elles procèdent à leurs ablutions en laissant couler l’eau limpide qui s’échappe d’une élégante fontaine appliquée au mur et qui retombe et se perd dans une vasque en forme de coquille. Nous pouvons nous procurer ces charmantes fontaines de salle à manger au n°28 du boulevard Poissonnière. Le propriétaire du magasin en possède une collection provenant de fabriques françaises et anglaises de grès établies à Voisin-Lieu, Sarreguemines et Wegwood.

À cette époque de l’année, nos jeunes filles rêvent de parties de campagne, de pique-niques et autres agréments dont, en ville, elles se trouvent privées. Mais voici que court une rumeur étrange. Nos demoiselles seraient attirées par l’attraction des barricades, pour le cas où se renouvelleraient les emballements de février dernier. Si ce bruit s’avère exact, il faut immédiatement prévoir le vêtement qu’il leur faudra porter pour une simple visite afin de satisfaire leur curiosité. Madame, pour protéger au mieux votre demoiselle, il vous faut apprendre au plus tôt par quelle engeance est érigée la barricade. S’il s’agit d’ouvriers, les gants noirs s’imposent, car tendre la main à un tâcheron, pour escalader au mieux les obstacles, équivaut à s’exposer aux miasmes que transportent ces gens-là. La robe de taffetas écossais, le canezou à manches courtes, très en vogue l’été dernier au pied des falaises, suffiront. Si la visite se fait le matin, nous recommandons de préférence à un chapeau en paille suisse ou d’Italie, un simple tissu de crin, dont la transparence variée emprunte un charmant effet aux doublures de la passe [1]. Nous avons remarqué cette nouveauté fraîche et de bon goût dans les magasins de Lucy Hocquet.

JPEG - 26.1 koS’il s’agit d’étudiants, nous conseillons vivement un peu de fantaisie dans la mise. Sans acquiescer à leur bohème, nos jeunes filles peuvent porter quelques guenilles de bon ton : robes effilochées sur le jupon, garnitures à la Fanchon posées sur le mantelet leur donneront un air d’originalité. Si les émeutiers se révèlent être des fils de famille égarés par inaction dans une rébellion sans fondement, nos demoiselles peuvent choisir des effets du genre "course à la campagne" et revêtir un peignoir de mousseline laine à dessin perse garni de petits volants, soit festonnés, soit bordés de soutache de couleurs assorties à celles du dessin de l’étoffe, un chapeau-paillasson à bavolet de taffetas bordé d’une ruche découpée et garnie d’un simple ruban croisé ; enfin, un mantelet garni d’un volant bordé d’un ou de plusieurs galons de soie. Les gants blancs sont de rigueur.

S’il s’agit de gens de condition modeste, voire de gueux, foin du soleil. Madame n’hésitez pas à ordonner à votre demoiselle une robe en brocart, en damas, en popeline, en satin de chine ou même en velours de coton bon marché. L’élégance est donnée par les ondulations d’un jabot bordé de dentelle qui ferme le devant d’un fichu de mousseline. Les gants de teinte claire sont serrés sur le poignet. La capote de velours doit coiffer les cheveux et toute la tenue sera employée pour décourager les puces et les poux que promènent sur eux des êtres sans hygiène.

En aucun cas ne porter une tenue d’homme. Cette audace serait
payée par une excommunication sociale.

Nous abordons sur la pointe des pieds la question des dessous des jeunes filles. Pour aller examiner une barricade, il est nécessaire de porter un pantalon. L’organdi et la batiste plissés, la percale garnie de dentelle, trop fragiles et intimes, sont rigoureusement déconseillés. Nous recommandons, malgré la chaleur, un pilou festonné descendant très bas pour préserver l’innocence de nos enfants.

Pour les visites de barricades l’après-midi, ne vous laissez pas surprendre,
Madame, par un chapeau en crêpe lisse de toutes nuances laissant échapper une aigrette ou un marabout aérien faciles à arracher. Et surtout, Mademoiselle, souvenez-vous qu’en toute circonstance, vous devez garder vos distances avec les émeutiers, même s’ils se montrent avenants.

Enfin, Madame, vous trouverez tous les vêtements conçus pour votre satisfaction et ceux de votre jeune fille chez Lucy Hocquet, Rue de la Paix.


p.c.c. Denise François

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Article mis en ligne en janvier 2014.

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[1la passe : bord d’un chapeau de femme.

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