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Conférence de Michel Fabréguet

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Jacques-Henry Paradis


Le siège de Paris 1870-1871 et les prémices de la Commune

Jacques-Henry Paradis, « bourgeois de Paris » et témoin du siège (Septembre 1870-janvier 1871) [1].

Le jeudi 15 septembre 1870, jour où les armées confédérées allemandes commencèrent à investir Paris, au lendemain du désastre de Sedan, de la chute du régime impérial et de la proclamation de la République à l’Hôtel de Ville de Paris [2], Jacques-Henry Paradis prit la plume et s’engagea fermement à avoir le courage et la détermination de « s’asseoir chaque soir à sa table de travail et de relater…les faits militaires, les nouvelles, les bruits de chaque journée, ses impressions, bonnes ou mauvaises, ses illusions, ses déceptions, ses craintes et même ses prévisions. »
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Gambetta proclamant la République française - Peinture de Howard Pyle


Il tint parole et ne devait effectivement reposer la plume que le dimanche 29 janvier 1871, « jour néfaste » de l’entrée en vigueur de la capitulation de Paris et de l’armistice entre la France et l’Allemagne. Le fruit de ce labeur acharné fut un volume d’un millier de pages, intitulé Journal du siège de Paris, document remarquable par sa précision, la vivacité du récit au réalisme sobre et la fraîcheur du sens de l’humour et de l’ironie dont l’auteur ne se départit véritablement jamais au cœur des événements dramatiques. Avant d’être réédité par les Éditions Tallandier en 2008 [3], ce Journal n’avait jusqu’alors fait l’objet que d’une seule édition en 1872, au lendemain même des événements. Lors de sa première parution en 1872, ce Journal, dont l’adresse au lecteur était simplement signée par un anonyme « bourgeois de Paris », fut attribué à un certain Jacques-Henry Paradis, associé d’agent de change, né en 1824, demeurant boulevard de Clichy au pied de la butte de Montmartre et père d’une « chère fille bien aimée », Marie Zélia, à qui fut dédié cet ouvrage. Paradoxalement, la discrétion affichée par l’auteur éveille la curiosité du lecteur, incité pour cette raison à vouloir en apprendre davantage. Or le diariste anonyme se dévoile entièrement, sans fausse pudeur, à ses lecteurs au fil des pages de son Journal, dans l’exposé de ses convictions personnelles très affirmées, de ses jugements très tranchés sur les personnalités politiques et militaires ainsi que par le dénigrement permanent de ses ennemis, au-delà comme en deçà de la ligne des forts et de l’enceinte des fortifications de Paris. Le lecteur peut alors découvrir la figure d’un libéral épris du sens de l’ordre et de la mesure, grand admirateur de Thiers. Jacques-Henry Paradis fut aussi un patriote lucide, dès le début très pessimiste sur l’issue du siège et de la guerre, et un grand pourfendeur des révolutionnaires parisiens, de ceux qu’il traita sans ménagement de « Prussiens de Paris ».

Les idées de Jacques-Henry Paradis

Jacques-Henry Paradis était avant tout un esprit libéral, ennemi des outrances et des violences. Ainsi se définit-il lui-même d’emblée dans l’entrée de son Journal à la date du 24 septembre 1870 : « Nous sommes dans un courant d’idées où l’esprit libéral doit être l’esprit de chacun [4] », que vient confirmer l’entrée du 28 octobre : « Moi, qui aime (…) assez les libertés, du moment qu’elles n’empiètent point sur la licence. [5] » Dans cette opposition de la liberté et de la licence, on ne peut manquer de percevoir un écho de l’anthropologie pessimiste d’un François Guizot nourrie de la doctrine du péché originel, décrivant l’homme aux prises avec les forces du bien et du mal, aux prises avec de mauvais penchants serrant de près les bons, ceux-là se dissimulant commodément derrière le paravent de la démocratie, source du chaos attentatoire à la liberté. Jacques-Henry Paradis n’était justement pas un démocrate convaincu ou radical, c’est-à-dire un partisan inconditionnel du plus large recours au suffrage universel. Apprenant la parution au Journal Officiel de décrets instaurant la pratique de l’élection des officiers par les soldats dans la garde nationale comme dans la garde mobile, il nota ainsi, de manière très explicite, dans son Journal à la date du samedi 17 septembre :

« Décret concernant la garde nationale sédentaire : les gardes nationaux vont nommer leur chef par le suffrage universel. La garde mobile va jouir des mêmes prérogatives. Je n’hésite pas à dire que si la chose est sans inconvénient pour la garde nationale, il n’en est point de même pour les autres troupes. Les soldats devant aller au feu doivent avoir des chefs instruits dans l’art de la guerre et, dans ce cas, le suffrage universel est déplorable, car il fera tomber le choix sur des incapacités compromettantes… Un général en chef, après examen, doit avoir, seul, le droit de faire la nomination de chefs qui ré-pondent de l’existence des hommes placés sous leur commandement. [6] »

Notre témoin était donc convaincu que le suffrage universel ne pouvait que favoriser la démagogie et la médiocrité : les véritables compétences ne pouvaient être ni reconnues ni promues par le suffrage universel, seulement par des groupes d’experts qualifiés. Le suffrage universel ne constituait à ses yeux un moindre mal que pour la seule garde nationale, pour la compétence militaire de laquelle il ne nourrissait au demeurant aucune considération : tout au plus un subterfuge commode pour permettre aux médiocres et aux encombrantes inutilités de gérer à peu de frais leur incompétence. Ce manque de considération pour le suffrage universel confinant au mépris doit cependant être tempéré par le cri de soulagement qu’il laissa échapper à l’annonce des résultats du plébiscite du 3 novembre, qui confortèrent les positions du Gouvernement de la Défense nationale et de l’ordre public, fortement ébranlées par l’émeute du 31 octobre à l’Hôtel de Ville : « Voilà un bon résultat. [7] » Rasséréné et réconcilié avec l’exercice du suffrage universel, qui avait assuré la victoire indiscutable de l’ordre face à la menace de la subversion révolutionnaire, il écrivit, presque euphorique, le jour suivant : « Le scrutin d’hier a donné largement le résultat sur lequel les hommes de l’ordre comptaient. C’est une grande victoire pour la France. [8] »

Le dimanche 25 septembre, notre témoin constatait avec satisfaction : « La foule affluait aujourd’hui dans les églises…La vue de ces églises réjouit le cœur et l’âme de ceux qui pensent que la nature est l’œuvre d’un être suprême qui commande aux destinées humaines et devant le quel chacun doit s’incliner [9]. » : adhésion en apparence sincère et désintéressée d’un croyant ou d’un libre penseur épris de religiosité par référence à un « être suprême », loin de toute idée d’instrumentalisation de la religion au service de l’ordre établi.

Cependant, Jacques-Henry Paradis ajoutait aussitôt de manière plus ambiguë :
« En parcourant [les églises], on était heureux de les trouver encombrées de gardes mobiles. La remarque que je fais n’a rien d’étrange, sans doute ; cependant, il est bon de constater ce fait en faveur des jeunes soldats. Enfants des campagnes, ils ne ressemblent en rien au peuple blasé de Paris ; les premiers croient à la religion, à leur Dieu ; ils ont la foi, le culte de la famille ; les autres ne croient en rien qu’à eux-mêmes. [10] »

Le propos épousait un jugement de valeur sur les gardes mobiles provinciaux en grande majorité bretons, esprits religieux, sains et équilibrés, et sur le peuple des gardes nationaux sédentaires de Paris, irréligieux et égoïstes. La religion constituait, pour Jacques-Henry Paradis, un facteur d’équilibre pour les individus comme pour la société, ainsi qu’une explication du fossé d’incompréhension qui se creusait déjà inexorablement entre Paris et la province. Le jugement favorable porté sur la religion comme facteur d’ordre social permet alors de comprendre sa condamnation sans appel, le lundi 12 décembre, de la proclamation de la séparation de l’Eglise et de l’Etat et de la suppression de l’enseignement congréganiste décidées unilatéralement par la mairie du XIVème arrondissement : « Je crois que le temps est mal choisi pour frapper ainsi les communautés religieuses, car jamais on n’a trouvé comme à cette heure plus de dévouement et d’abnégation chez les sœurs de Charité et chez les frères de l’Ecole chrétienne. » Et tombait alors ce constat assez désabusé : « J’admire singulièrement tous ces gens adorateurs de la liberté qui suppriment ce qu’ils ne veulent plus, sous prétexte que cela gêne l’indépendance. Il sera donc dit que jamais nous ne l’aurons, cette liberté ; moins encore sous le règne républicain que sous les autres gouvernements. [11] »

Défenseur de la religion et des congrégations, notre diariste resta par contre sourd et insensible à la question sociale. De manière significative, les questions économiques et sociales n’occupèrent qu’une place fort restreinte dans son Journal, la seule occurrence relative à un problème économique important se limitant à l’entrée du mercredi 4 janvier 1871 : celle-ci était justement remarquable par son étroitesse de vue, sa partialité et son insensibilité : « Comme nous touchons bientôt au 15 janvier, nouveau décret gouvernemental reculant à trois mois le payement des loyers. Pauvres propriétaires, si le siège allait durer une année ! [12] »

La guerre puis le blocus de Paris avaient interrompu les affaires et les paiements. Souvent réduites au chômage par le ralentissement ou la cessation des activités économiques, les classes populaires se trouvaient en fait dans l’incapacité de payer leurs loyers. Dès le 13 août 1870, le régime impérial avait instauré un moratoire du règlement des effets de commerce et des loyers [13]. Jacques-Henry Paradis épousait donc ici très étroitement le point de vue des propriétaires qui se sentaient lésés. Il témoignait ainsi d’une incompréhension complète doublée d’une absence réelle d’empathie à l’égard des souffrances grandissantes des classes populaires face aux rigueurs engendrées par la prolongation du siège. Les victimes les plus modestes du blocus se trouvaient confrontées de manière dramatique, au début de l’hiver, à la pénurie du ravitaillement et du bois de chauffage et à l’envol d’une mortalité liée aux épidémies, aux privations de toutes natures et à la mauvaise hygiène. Deux mois plus tard, la suppression du moratoire des loyers décidée par l’Assemblée nationale siégeant à Versailles, donnant ainsi fort maladroitement satisfaction, à très court terme, à la revendication des propriétaires, constitua l’une des erreurs les plus funestes de l’Assemblée, à l’origine immédiate de l’insurrection du Paris de la Commune contre le gouvernement de Thiers.


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Le sort misérable des Parisiens pendant le siège


Son opinion sur quelques personnalités

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Portrait officiel d’Adolphe Thiers

C’est pourtant bien Adolphe Thiers, le « grand politique », l’ « illustre homme d’ État », qui bénéficia sans conteste de son soutien le plus inconditionnel, de son admiration la plus entière et qui incarna toute l’espérance que l’auteur pouvait encore raisonnablement entretenir. Car Adolphe Thiers représentait à ses yeux l’homme d’État expérimenté et responsable, disposant d’un solide réseau de relations étendu à l’échelle du continent européen. Il était encore le seul à pouvoir prétendre tirer la France du mauvais pas dans lequel le régime impérial l’avait inconsidérément précipitée.

Le 4 septembre 1870, Thiers avait certes refusé d’entrer dans le Gouvernement de la Défense nationale présidé par le général Trochu, fruit de l’insurrection parisienne. Mais il avait accepté d’accomplir une tournée des principales capitales européennes pour plaider la cause des nouvelles autorités françaises, contraintes d’endosser la poursuite d’une guerre, qu’elles étaient pourtant supposées ne pas avoir encouragée, par l’inflexible et impitoyable dureté des conditions du vainqueur. Dans l’entrée de son Journal en date du dimanche 16 octobre notre témoin releva, avec une admiration toute en concision : « M. Thiers est arrivé à Vienne ; il a eu avec M. de Beust une conférence de deux heures puis une audience avec l’Empereur. Dans l’après-midi l’illustre homme d’État visite les comtes Andrassy, Potocki et Taure ; il doit partir pour Florence. M. Thiers va faire son tour d’Europe. [14] »

Il s’illusionna pourtant passablement : la Double Monarchie et en particulier la classe politique hongroise, prussophile et principale bénéficiaire du compromis dualiste de 1867, n’avaient nullement l’intention de voler au secours de la défaite. L’Empereur François-Joseph, contraint par la défaite de Napoléon III de renoncer à son propre désir de revanche sur la victoire de la Prusse à Sadowa, s’apprêtait, dans la résignation, à prendre acte durant l’hiver 1870-1871 du nouveau rapport des forces instauré en Europe Centrale. Les cours européennes ne furent certes pas avares de bonnes paroles à l’égard d’Adolphe Thiers. Mais, de ces entretiens, il ne devait rien sortir de concret dans l’ordre du Concert européen.

Sans égaler la respectueuse considération que Jacques-Henry Paradis portait à Thiers, Gambetta bénéficia cependant de l’estime sincère de notre diariste. A l’occasion du départ en ballon, à bord de l’Armand Barbès, à destination de Tours du ministre de l’Intérieur du Gouvernement de la Défense nationale, départ spectaculaire qui impressionna fortement les esprits des contemporains, Jacques-Henry Paradis écrivit très militairement à la date du 7 octobre 1870 : « Ardent, plein de conviction, trop enthousiaste pour être homme d’État, mais qui, sans aucun doute, donnera par son ardeur l’élan qui pourrait manquer à la province. [15] »

Aux yeux de notre observateur, il manquait sans doute encore au fougueux patriote méridional la sagesse et la modération liées à l’âge et à l’expérience, dont bénéficiait justement Monsieur Thiers ! A la fin du mois de janvier 1871, Jacques-Henry Paradis colporta des rumeurs de suicide sur Gambetta, sans savoir véritablement à quoi s’en tenir : « On parle aussi du suicide de Gambetta. Le jeune ministre se serait brûlé la cervelle. Encore une nouvelle de journal, mais que d’avis différents sur cette fin dramatique ! [16] »


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Départ de Gambetta en ballon (musée Carnavalet - Paris)


Quoiqu’il en soit, le jugement porté sur Gambetta resta cependant plus indulgent que l’appréciation beaucoup plus dure portée à l’encontre de Garibaldi, objet d’un commentaire à l’ironie décapante et méprisante dans l’entrée du dimanche 16 octobre, alors que le patriote italien venait pourtant assez chevaleresquement porter secours à la République française, en reconnaissance du rôle décisif joué par la France dans la formation de l’unité nationale italienne :

« …l’arrivée de Garibaldi à Marseille. Cette nouvelle, disons-le bien vite, amène le sourire sur les lèvres. Que vient faire en France ce vieux héros des Chemises rouges, bon autrefois à la tête de ses soldats, mais bon aujourd’hui qu’il est perclus de douleurs, à garder la chambre en se rappelant tous ses espoirs déçus ? Son arrivée fait triompher les journaux républicains, ils croient tout sauvé ; mais on se demande si le républicain Garibaldi seul suffit pour chasser les Prussiens. Nous en doutons beaucoup, nous autres gens pratiques. [17] »

Injuste et ingrat à l’égard de Garibaldi, Jacques-Henry Paradis s’en prit également très violemment, à la fin du mois d’octobre 1870, à Félix Pyat, directeur du journal Le Combat qui avait annoncé la capitulation en forme de trahison de Bazaine à Metz :

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Félix Pyat, fondateur du journal Le Combat

« Le maréchal Bazaine a envoyé un colonel au camp du roi de Prusse pour traiter de la reddition de Metz, au nom de sa Majesté l’Empereur Napoléon III. [18] »

Refusant de croire encore à la nouvelle, se fiant à tort au démenti formel et embarrassé du gouvernement de la Défense nationale, Jacques-Henry Paradis proposa alors tout simplement dans un premier temps la suppression du journal Le Combat, « qui ne rêve que la guerre civile (…) et (qui ruine) par ces mensonges l’autorité de ceux qui combattent les ennemis de la France. [19] »


Encore sous le coup de l’émotion et de l’énervement liés à la tentative révolutionnaire du 31 octobre 1870 à l’Hôtel de Ville de Paris, il s’efforça de se forger une opinion crédible sur les événements de province, au milieu des incertitudes et de ce qu’il percevait comme des bruits infondés ou de la désinformation : « Données par des nouvelles de province, mille versions absurdes circulent sur la reddition de Metz…Bazaine est un traître ! Voilà comme on explique les choses à Paris. Quand on ne réussit pas, on trahit ; quand on n’est pas vainqueur, on est un lâche ! singulier mode d’appréciation. Pour moi, qui prends avant pour guide le bon sens, je n’apprécie pas, ne sachant rien. Lorsque l’on connaîtra les causes qui ont déterminé Bazaine à rendre Metz à la Prusse, alors on pourra s’ériger en juges et condamner. Avant d’avoir le droit de juger, acquis par des preuves indiscutables, il y a infamie à dire : Bazaine est un traître. [20] »

Notre témoin, s’efforçant à l’objectivité et constamment sur ses gardes à l’égard des rumeurs, des informations tronquées et de la propagande de guerre, mais animé lui-même de ses propres passions et préjugés à l’égard de ceux qu’il pouvait considérer comme ses ennemis, se trouvait ainsi confronté à la très grande difficulté qu’il pouvait y avoir en période de guerre, de surcroît dans une ville assiégée, à tenter de démêler le vrai d’avec le faux et de saisir dans l’instant, au milieu de mille rumeurs erronées, l’information exacte. Les assiégés, tributaires des dépêches transmises par les pigeons voyageurs ou de l’introduction très aléatoire de la presse étrangère dans Paris, souffraient par trop du manque d’informations fiables auquel le blocus les condamnait.

De fait, Jacques-Henry Paradis n’eut de cesse de dénigrer les républicains révolutionnaires, les partisans de la Commune et les hommes des clubs « communistes » la « populace » de ceux qu’il désignait aussi sous les noms de membres du « parti exagéré », d’« excités » ou de « communeux ». Dans son entrée du vendredi 30 septembre, il cita assez longuement un article fort spirituel paru dans le Journal des Débats qui mettait habilement les rieurs du côté des partisans de l’ordre contre les révolutionnaires :

« Parce qu’ils possèdent la tradition révolutionnaire et qu’ils prétendent gouverner révolutionnairement, ce mot dit tout et il répond à tout et il donne la science infuse. Ce ne sont plus de simples mortels comme nous, ce sont des pontifes qui officient ; ils boivent et mangent révolutionnairement ! Ils se lèvent et se couchent révolutionnairement ! Ils trouvent mauvais que le citoyen Thiers ait reçu et accepté une mission diplomatique. Il eût mieux valu s’adresser au citoyen Pricochot ou au citoyen Galoubet, que les puissances étrangères n’auraient pu contempler sans être frappées de respect. Vous proposez au premier d’entre eux de commander une armée, il accepterait haut la main ; de faire manœuvrer une flotte, il s’en chargerait sans hésitation, et, si vous lui demandiez comment il viendrait à bout de tout cela, ne sachant pas le premier mot, il vous répondrait qu’il n’y aurait rien de plus aisé, par la raison que, sortant de la routine, il procéderait révolutionnairement. [21] »

Caricature cruelle mais non dénuée de justesse des militants des clubs à la rhétorique verbeuse, simpliste et creuse, dont Gustave Flaubert, à propos de la Révolution de 1848, toile de fond de L’Éducation Sentimentale, s’était déjà récemment moqué. Portrait savoureux, mais nullement dénué de parti pris idéologique, car derrière l’ironie mordante et amusante perçait une charge beaucoup moins plaisante contre des citoyens de modeste ou d’obscure extraction, qui prétendaient faire valoir leurs opinions au même titre que les « Messieurs ». Or ceux-ci bénéficiaient seuls, pour notre diariste comme pour le chroniqueur du Journal des Débats, de la compétence pour trancher de telles questions. S’il savait être drôle et rationnel, rationnel avec drôlerie, notre diariste ne manqua donc pas aussi de faire preuve d’aveuglement et d’étroitesse dans ses jugements.


La guerre et le siège de Paris

Le regard porté par Jacques-Henry Paradis sur l’issue de la guerre et sur l’utilité de la poursuite de celle-ci fut d’emblée très pessimiste. Dès la première entrée du jeudi 15 septembre 1870, il s’interrogeait ainsi gravement : « Combien de temps resterons-nous investis ainsi ? Je l’ignore ; mais, hélas ! je suis obligé de le dire, puisque j’ai juré d’être vrai, je ne crois pas à une bien longue résistance. Nous n’avons pas de discipline. Nos canons sont restés à Sedan. Nos soldats sont prisonniers, et l’armée nouvelle, formée de citoyens ignorants en matière militaire, n’a que des armes impuissantes. La volonté fait la force, dit-on. Hélas ! aurons-nous même la volonté ? Attendons ! [22] »

Si l’extrême prudence des assiégeants, qui choisirent de réduire la ville par le blocus et la famine plutôt que de courir le risque hasardeux d’un assaut frontal et sanglant, fit provisoirement mentir les craintes du diariste quant à la capacité de résistance des Parisiens, la suite des événements vint cependant confirmer son pessimisme initial. Le jeudi 3 novembre, il confessait sans vouloir s’illusionner : « Nous devons dire franchement, en outre, que les Allemands sont véritablement les plus forts. Il est pénible d’avouer de telles choses, mais on ne peut nier l’évidence. [23] » Et au cours du mois de janvier 1871, sous le déluge des obus des assiégeants et au milieu des souffrances innombrables engendrées par le rationnement, le froid d’un hiver exceptionnellement rigoureux et l’envol de la mortalité dont il tint une comptabilité minutieuse, alors que la défaite des armées improvisées de province ne permettait plus d’envisager la rupture du blocus de la capitale, il sentit inexorablement venir la fin : « J’estime que vers le 30 Paris sera ouvert. Fatalement nous tomberons car les secours attendus n’arrivent pas. [24] »

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Meissonnier : Le Siège de Paris. ( Musée d’Orsay)


Le jugement de Jacques-Henry Paradis sur l’inutilité de la poursuite des combats traduisait le pessimisme d’une intelligence lucide, dépourvue de la moindre illusion sur la valeur militaire tant de la garde nationale armée par Gambetta, aux effectifs pléthoriques, masse indisciplinée et à « l’aspect misérable », que de la garde mobile, « troupes jeunes et robustes, mais mal armées et misérablement vêtues » [25]. La lecture du Journal de Jacques-Henry Paradis permet certainement d’infirmer la thèse très polémique, martelée en particulier par les républicains révolutionnaires selon laquelle les conservateurs et les républicains modérés auraient délibérément sacrifié l’honneur national en cherchant à conclure au plus vite un armistice avec Bismarck pour prévenir et contenir la menace de la révolution sociale.

L’absence de considération de notre diariste pour les armées improvisées ne relevait pas d’une peur irraisonnée de la subversion de l’ordre public, quelque absence de considération qu’il ait entretenu à l’égard de la garde nationale dont il ne cessa de dénoncer l’indiscipline et les beuveries, mais d’une évaluation sans complaisance des rapports des forces militaires en présence. Jacques-Henry Paradis avait une perception fine et exacte des facteurs de l’infériorité militaires des Français face à l’armée confédérée prusso-allemande, en particulier dans le domaine désormais décisif de l’artillerie. Il percevait aussi très justement la composante par trop affective du patriotisme de la population parisienne, ignorante de la réalité des rapports des forces militaires en présence, sous l’effet de l’aveuglement des passions et de l’inexpérience de la guerre : « L’idée de l’armistice en somme ne sera pas facile à faire entrer dans l’esprit parisien. Il y a une partie de la population, très guerrière, qui résiste à cette pensée. Je puis parfaitement donner la raison de cette ténacité ; c’est, je crois, qu’ils n’ont point encore marché à l’ennemi, et que pour eux le jeu du soldat les attire. [26] » Cette composante affective devait ultérieurement, après la capitulation de la capitale, jouer un rôle essentiel dans l’enchaînement des événements qui aboutirent à la rupture du 18 mars 1871. Le propos de notre diariste est donc ici très visionnaire : les lignes qu’il consacre à l’analyse des événements militaires du siège constituent assurément la meilleure part de son Journal.

Les « Prussiens de Paris »

Homme d’ordre, ennemi des outrances verbales et de l’indiscipline, Jacques-Henry Paradis ne cessa donc de dénoncer les agissements des révolutionnaires qui, tour à tour, l’inquiétèrent puis le rassurèrent par leurs échecs et leur impuissance manifeste. La confrontation avec eux, par l’intermédiaire de son Journal, demeura cependant permanente et sans concession. Les épreuves du siège accrurent son incompréhension, qui atteignit son apogée lors des deux journées d’émeute du 31 octobre 1870 puis du 22 janvier 1871. Au comble de l’exaspération et ne retenant plus sa plume dans sa relation de cette dernière journée, notre diariste se laissa alors aller à écrire dans l’entrée du dimanche 22 janvier 1871 : « Pendant que les Prussiens de Paris nous fusillent sur nos places, les Prussiens d’Allemagne nous bombardent vigoureusement tous les jours. [27] »

Notre témoin fut d’abord attentif, dans le courant du mois de septembre 1870, à la menace que les révolutionnaires faisaient peser sur le maintien de l’ordre public à propos de l’organisation des élections, promises puis reportées par le Gouvernement de la Défense nationale dans le contexte imprévisible de la prolongation de la guerre. Dès le dimanche 25 septembre 1870, il s’inquiétait déjà de l’insubordination : « Les réunions publiques sont toujours d’une violence extrême au sujet des élections municipales. On y vote l’ordre du jour qui s’arroge le droit de procéder aux élections malgré le gouvernement. Les orateurs les plus acharnés demandent l’établissement de la Commune, et espèrent, à l’aide de ces élections, renverser le gouvernement de la Défense. Les gens qui commandent et conduisent ce mouvement sont dangereux. [28] »

Le mercredi 28 septembre, commentant les événements qui se sont déroulés à Belleville et qui ont abouti à l’élection de Gabriel Ranvier comme nouveau maire d’arrondissement, il écrivit : « Messieurs de Belleville délibèrent toujours (…) On décide que l’élection de la Commune se fera le 29, par acclamation dans la garde nationale et dans les réunions publiques. Si l’ennemi n’était pas devant nos portes, il faudrait en rire de pitié. [29] » La pratique de la démocratie directe, chère aux Bellevillois, ne rencontrait manifestement pas l’assentiment de notre diariste !

Puis il ne tarda pas à s’effrayer et à dénoncer le recours à la rhétorique de la violence et de la guerre civile face à l’ennemi : « Ledru-Rollin, Blanqui et Félix Pyat, les doyens de 1848 et le major Flourens excitent les esprits par des discours violents. Soir et matin, dans leurs journaux, ils traînent dans la boue le gouvernement de la Défense nationale. Au milieu de ces insolences sans nom, de ces attaques extravagantes, Paris reste calme et réfléchi. [30] »

Au début du mois d’octobre, l’agitation persistant dans les rangs de la garde nationale, notre témoin ne ressentit plus le besoin de faire preuve du moindre ménagement à l’égard de celle-ci : « La conduite de ces criards est pour moi sans nom. On peut se rendre un compte exact du but et des aspirations de ces individus. Ils peuvent se diviser en quatre classes :

Les ambitieux, sous prétexte de constituer une Commune destinée à venir en aide au gouvernement de la Défense, veulent tout simplement le renverser en lui substituant une commune de leur choix.

Les agitateurs, ceux qui forment la masse exploitée par les premiers, demandent aussi la Commune. Ils ont raison dans ce sens que le gouvernement doit se hâter dès qu’il en aura le loisir, de constituer, non seulement la Commune de Paris, mais celles de toute la France seulement ils ont tort de ne pas voir que ce qu’ils demandent actuellement est tout simplement une mesure révolutionnaire qui ne pourrait amener que la guerre civile.

La troisième classe, plus nombreuse qu’on ne le pense se compose d’ennemis de leur pays ou complice de la Prusse, qui se faufilent dans les rangs de la démocratie avancée pour la pousser à réaliser le mot de M. de Bismarck : « Dans quelques jours vous serez renversés par la populace. [31] » La quatrième classe est celle des niais, et celle-là n’est pas la moins nombreuse. [32] »

Mais dans les relations des journées révolutionnaires, la polémique fit place aux dénonciations les plus violentes brodant sur les thèmes de la folie, de l’orgie rouge et des libations. Les abords de l’Hôtel de Ville, investis le 31 octobre 1870 par les gardes nationaux de Belleville sous le commandement de Flourens, devinrent ainsi en fin d’après-midi et en soirée, selon notre diariste, le lieu de scènes indécentes et de beuveries orgiastiques. Les émeutiers des deux sexes, des hommes mais aussi des femmes, auraient été exclusivement guidés par le besoin d’assouvir des instincts bestiaux soudainement débridés sous l’empire de l’alcool. L’émeute était un acte de démence sous l’effet de l’éthylisme, ses causes véritables, l’annonce de la capitulation de Bazaine à Metz et des rumeurs sur la conclusion d’un armistice, étant à peine évoquées :

« On assure qu’un drapeau rouge a été hissé aux fenêtres du palais ; ce qu’il y a de certain, c’est que l’on a vu un groupe de femmes déguenillées, éhontées, ivres, se promener dans certaines rues, agitant au bout d’un bâton une loque de cette couleur !… On les huait sur leur passage (…)

Dans les salles ouvertes des autres corps du bâtiment, les gardes nationaux partisans de la Commune, bêtes fauves déchaînées, volaient, souillaient, pillaient et buvaient les vins volés dans les caves, dont ils avaient brisé les portes (…)

Dans la salle du trône, des citoyens communards achèvent un repas arrosé de libations copieuses. [33] »

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Gustave Flourens à l’Hôtel de Ville


« Dans la salle des délibérations du gouvernement, Flourens s’obstinait à demander aux ministres leurs démissions écrites. On vocifère, on hurle, on crie. M. Flourens monte sur une table pour se faire entendre. Il lui faut toujours quelque chose qui l’élève : c’est une manie ! » Entrée du lundi 31 octobre 1870

La dénonciation de l’ivrognerie des révolutionnaires et des populations laborieuses demeura un thème récurent. Le mercredi 7 décembre, Jacques-Henry Paradis nota encore : « Un des vices de la population de Paris, c’est l’ivrognerie ; vice qui n’a fait que se perpétrer par le manque de travail [34]. » La dénonciation des beuveries et des ripailles indécentes figura également en bonne place dans la relation de la journée du 22 janvier 1871 :

« A midi, le bruit se répand que des troubles sérieux ont lieu à Belleville et à l’Hôtel de Ville. Les prévisions d’hier se sont-elles réalisées ? En effet, la nuit dernière (…), on apprenait que la prison de Mazas [35] venait d’être forcée par une poignée d’agitateurs. Plusieurs prévenus politiques, parmi lesquels M. Flourens avaient été mis de vive force en liberté.
Après ce premier acte de violence, les émeutiers, en assez petit nombre, se sont portés sur la mairie du XXe arrondissement, dans le but d’y installer le quartier général de l’insurrection. Leur entreprise n’a pas obtenu un succès de longue durée. Néanmoins, elle s’est assez prolongée pour qu’ils aient pu commettre les actes les plus blâmables. Les insurgés, en effet, au risque de livrer au supplice de la faim toute la population indigente de Belleville, se sont emparés de 2000 rations de pain. Ils ont en outre bu une barrique de vin réservée aux nécessiteux, et dévalisé un épicier du voisinage. [36] »

A la limite extrême des capacités de résistance de Paris, l’orgie rouge était d’autant plus indécente qu’elle lésait directement les populations indigentes et affamées de Belleville : les menées des « Prussiens de Paris » rejoignaient celles des Prussiens d’Allemagne à l’extérieur de la ligne des forts à l’encontre des intérêts des véritables patriotes et des bons citoyens.

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Gustave Flourens et les prisonniers politiques de Mazas remis en liberté par les manifestants dans la nuit du 21 janvier 1871. (Paris, musée Carnavalet)


Tout au long de la narration du siège de Paris, le lecteur peut constater la radicalisation progressive du propos du diariste sur les républicains révolutionnaires. De la dénonciation des fauteurs de trouble et de la médiocre valeur militaire des citoyens en arme, Jacques-Henry Paradis en vint, sous le coup de l’émotion à l’occasion de l’émeute du 31 octobre 1870, à leur dénier le caractère d’êtres humains pour les comparer à des bêtes sauvages.

Les thèmes de la folie et de l’orgie rouge, dans les beuveries et les comportements indécents des hommes comme des femmes, apparaissaient déjà sous sa plume pendant l’épreuve du siège de Paris. Ils devaient ressurgir quelques mois plus tard avec une force décuplée dans la propagande et la littérature anticommunardes des Versaillais et être promis à un bel avenir dans les années 1870 : ils contenaient déjà en germes la justification de la répression sanglante de la Commune par le parti de l’Ordre, légitimée par la bestialité et l’inhumanité supposées des insurgés. Par delà les épisodes du siège de Paris et de la répression de la Commune, on découvre ici aussi les prémices d’un discours racial et raciste propagé par la droite extrême à la fin du XIXe et au XXe siècles, tendant à exclure de soi-disant réprouvés de l’espèce humaine sous les chefs d’accusation du complot, de l’hystérie et de la « bestialité » c’est-à-dire de la dégénérescence supposée : l’idéologie völkisch-nazie, au tournant du siècle, devait prendre racine dans le même terreau.

Un document fort

Le Journal du siège de Paris de Jacques-Henry Paradis est un document fort et important, aussi bien par ce qu’il nous apprend sur les événements vécus par le témoin que par ce qu’il nous révèle sur celui-ci. C’est d’abord une source d’une grande valeur sur la vie quotidienne des Parisiens pendant le blocus, sur les épreuves grandissantes auxquelles ils se trouvèrent confrontés dans le contexte de la prolongation de la guerre et du siège, sur leurs espérances, leurs incertitudes et leurs angoisses. Au début de l’automne 1870, l’insouciante Babylone de la fête impériale, « habituée au luxe, aux plaisirs et aux joies pures et profanes » par une « lente transformation » et « par graduations infinies (…) se change en cité militaire et résolue (…) se refond en Lutèce. [37] »

Au cœur des événements tragiques auxquels il se trouva par la force des choses mêlé, notre témoin s’est efforcé d’exercer, en permanence, un roboratif esprit critique, sans se départir d’un certain sens de l’humour et de l’ironie, qui lui permit de cultiver aussi en permanence un détachement salutaire au milieu des épreuves. Son analyse des causes de l’infériorité militaire des Français resta très lucide. Mais en dépit de sa volonté affichée de lucidité, il fut cependant victime de la désinformation et de la propagande de guerre. Il surestima Trochu et Thiers, avant d’admettre tardivement les erreurs militaires du gouverneur de Paris.

Jacques-Henry Paradis était un patriote et un libéral, un républicain modéré encore très modérément républicain, avant tout préoccupé du maintien de l’ordre public face à l’ennemi. Sincèrement désireux de préserver l’intégrité territoriale de la France, de ne céder aucun pouce de son territoire et aucune pierre de ses forteresses, tant que la chose fut encore concevable, il dut finalement se résigner à en passer par les conditions drastiques du vainqueur devant le constat de l’impossibilité du redressement militaire. Conscient des insuffisances et des limites du patriotisme des classes populaires parisiennes, il était cependant injuste et mesquin devant la légitimité de leurs revendications démocratiques et sociales. Un sentiment de peur, joint à un certain mépris social, nourrit finalement chez lui de l’incompréhension et des fantasmes à leur égard : ces mêmes facteurs devaient provoquer et justifier, quelques mois plus tard, la répression sanglante de la Commune par les Versaillais. Rien ne permet, à la lecture de ce Journal, d’affirmer que notre témoin ait pu alors la cautionner entièrement, même si tout le laisse cependant supposer.


Michel Fabréguet - Mars 2010


ANNEXE - REPÈRES CHRONOLOGIQUES
De juillet 1870 à janvier 1871
Dates Évènements politiques et militaires de la guerre franco-allemande Évènements du siège de Paris
1870
19 juillet Napoléon III déclare la guerre à la Prusse, poussé en particulier par l’impératrice Eugénie soucieuse de favoriser par une guerre victorieuse la succession dynastique au profit du prince impérial Louis-Napoléon.
1-2 septembre Capitulation de l’empereur Napoléon III à Sedan, qui se constitue prisonnier sans engager le sort de la France.
4 septembre A Paris, déchéance de la dynastie impériale et fuite de l’impératrice-régente Eugénie. Proclamation de la République à l’Hôtel de Ville et constitution du Gouvernement de la Défense nationale présidé par le général Trochu, gouverneur militaire de Paris entré en fonction dès le 17 août 1870, et constitué principalement par des députés républicains de la Seine élus au Corps Législatif de l’Empire lors des élections de 1869. Léon Gambetta est ministre de l’Intérieur et Jules Favre ministre des Affaires Étrangères
13-15 septembre Mise en place du Comité central républicain des vingt arrondissements de Paris, pôle révolutionnaire concurrent dans la ville assiégée du Gouvernement de la Défense nationale. Le Comité central réclame des mesures politiques et sociales en faveur des classes populaires et l’organisation rapide d’élections.
15 septembre Adolphe Thiers envoyé extraordinaire du Gouvernement de la Défense nationale auprès des grandes puissances européennes. Dans Paris presque entièrement encerclé, Jacques-Henry Paradis entreprend la rédaction de son Journal.
17 septembre Parution au Journal Officiel d’un décret annonçant l’élection des maires de France.
17-19 septembre Bataille de Châtillon et encerclement complet de la ville de Paris.
19-20 septembre Échec de l’entrevue de Ferrières entre Bismarck et Jules Favre. Le chancelier de la Confédération d’Allemagne du Nord maintient en particulier l’exigence de la cession par la France de l’Alsace et de la Lorraine allemande avec la place forte de Metz. Le Gouvernement de la Défense nationale se trouve contraint de poursuivre la guerre. De dynastique l’affrontement entre les belligérants se transforme en conflit national.
20, 22 et 25 septembre Agitation impulsée par le Comité central sur le thème des élections.
23 septembre Parution au Journal Officiel d’un décret ajournant les élections pour cause de guerre.
7 octobre Gambetta quitte Paris à bord de l’Armand Barbès.
8 octobre Échec de la manifestation organisée par le comité central devant l’Hôtel de Ville. Le comité central se met alors en veille.
11 octobre Prise d’Orléans par les troupes bavaroises du général von der Tann.
21 octobre Première bataille de Buzenval.
27 octobre Le maréchal Bazaine capitule à Metz sans avoir manifesté beaucoup d’énergie dans l’organisation de la résistance.
28-30 octobre Échec de la tentative de sortie du Bourget.
31 octobre Journée révolutionnaire à l’Hôtel de Ville, provoquée par l’annonce de la capitulation de Bazaine, des rumeurs d’armistice et l’exaspération des Parisiens devant l’échec du Bourget. Intervention des gardes nationaux de Belleville sous le commandement de Gustave Flourens qui s’emparent des membres du Gouvernement de la Défense nationale. La journée s’enlise dans la confusion. A la nuit, la foule des manifestants, croyant la partie gagnée, déserte l’Hôtel de Ville, réinvesti par des mobiles bretons acquis à la cause des membres du Gouvernement de la Défense nationale. Celui-ci s’engage à organiser des élections dans Paris. Les chefs de l’insurrection quittent librement l’Hôtel de Ville, avec la promesse (qui ne sera pas honorée) de l’absence de représailles.
1er novembre Annonce au Journal Officiel de la consultation de la population de Paris pour savoir si oui ou non elle conserve sa confiance au Gouvernement de la Défense nationale.
3 novembre Le plébiscite organisé dans Paris conforte à une majorité écrasante le Gouvernement de la Défense nationale. Seul le XXème arrondissement accorde une courte majorité au non.
5 novembre Les Bavarois évacuent Orléans.
5/8 novembre L’élection des maires d’arrondissements et de leurs adjoints tourne également à l’avantage des partisans du Gouvernement de la Défense nationale (conservateurs, républicains modérés et radicaux). Les républicains révolutionnaires l’emportent cependant à Belleville, dans le XIXème arrondissement avec Delescluze et dans le XXème arrondissement avec Ranvier.
9 novembre Victoire de l’armée de la Loire à Coulmiers sur les Bavarois.
15 novembre Étienne Arago démissionne de sa fonction de maire de Paris à laquelle il avait été porté par acclamation le 4 septembre.
16 novembre Jules Ferry succède à Étienne Arago dans la fonction de maire de Paris.
29 novembre Proclamation du général Ducrot annonçant une nouvelle sortie : « Je ne rentrerai dans Paris que mort ou victorieux. »
30 novembre-3 décembre Échec de la tentative de sortie du général Ducrot en direction de l’armée de la Loire à Champigny.
2-4 décembre Reprise d’Orléans par la IIème armée prussienne sous les ordres du prince Frédéric-Charles, rendue disponible par la capitulation de Metz.
7 décembre Flourens arrêté à Créteil est interné à la prison de Mazas.
21-22 décembre Deuxième bataille du Bourget par un froid très rude.
27 décembre Début du bombardement des forts de Paris par les Allemands.
29 décembre Évacuation du Plateau d’Avron par l’armée française.
30-31 décembre Jacques-Henry Paradis fait état dans son Journal de difficultés entre le général Trochu et les membres de son gouvernement.
1871
1er janvier Le comité central républicain des 20 arrondissements de Paris prend le nom de Délégation des vingt arrondissements.
5 janvier La Délégation des vingt arrondissements fait placarder l’Affiche Rouge accusant d’inertie le Gouvernement de la Défense nationale et appelant à la formation de la Commune de Paris. Début du bombardement de Paris par les Allemands.
9 janvier Victoire de l’armée de l’est à Villersexel.
11-12 janvier Déroute de l’armée de la Loire lors de la bataille du Mans.
15-18 janvier Retraite de l’armée de l’est à la suite de la bataille d’Héricourt. Échec de la tentative visant à débloquer la place de Belfort.
18 janvier Le roi de Prusse Guillaume Ier est proclamé empereur allemand dans la galerie des glaces du château de Versailles, à la plus grande humiliation des patriotes français.
19 janvier Défaite de l’armée du nord à Saint-Quentin. Bataille de Buzenval. Échec de la sortie commandée par le général Trochu. Pour la première fois depuis le début du siège, la garde nationale est associée à une opération militaire importante.
21 janvier Le général Trochu remet au général Vinoy le commandement de l’armée de Paris, tout en restant à la tête du Gouvernement de la Défense nationale.
Nuit du 21 au 22 janvier Flourens est délivré de la prison de Mazas par des manifestants.
22 janvier Journée révolutionnaire consécutive à l’échec de Buzenval et à des rumeurs d’armistice. Affrontement entre les gardes mobiles et les gardes nationaux sur la place de l’Hôtel de Ville et graves incidents à Belleville. Le Gouvernement de la Défense nationale fait procéder à l’arrestation de militants révolutionnaires, à la fermeture des clubs et à l’interdiction des journaux Le Réveil (Delescluze) et Le Combat (Félix Pyat).
23-26 janvier Négociations à Versailles entre Bismarck et Jules Favre.
26 janvier Conclusion d’un armistice entre la France et l’Allemagne pour permettre l’élection d’une Assemblée Nationale ayant autorité pour trancher de la question de la guerre ou de la paix. Les départements de l’est de la France où se déroulent encore des combats sont exclus des dispositions de l’armistice. Capitulation de Paris avec remise des forts aux Allemands et captivité de l’armée de Paris à l’exception d’une garnison de 12.000 hommes
29 janvier Entrée en vigueur de la capitulation. Jacques-Henry Paradis clôt le Journal du siège de Paris.
Début février Pour éviter la capitulation, l’armée de l’est se réfugie en Suisse où elle est internée.

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[1Cet article reprend le texte d’une conférence prononcée à l’occasion de l’inauguration des locaux du pôle d’économie sociale et solidaire de la rue de la Solidarité, dans le XIXème arrondissement de Paris, le samedi 27 mars 2010. Lire du même auteur On a lu. Du nouveau sur la Commune.

[2Voir en fin d’article l’annexe avec les repères chronologiques sur l’ensemble des événements évoqués ici.

[3PARADIS (Jacques-Henry) Journal du siège de Paris. Septembre 1870-janvier 1871, Édition établie, préfacée et annotée par Alain Fillion, Paris, Édition Tallandier, 2008.

[4Journal du siège de Paris, op.cit, p.72.

[5Journal du siège de Paris, op.cit, p.183.

[6Journal du siège de Paris, op.cit, p.30.

[7Journal du siège de Paris, op.cit, p.202. La question posée à la population parisienne était de savoir si celle-ci maintenait les pouvoirs du gouvernement de la Défense nationale : les résultats proclamés dans la nuit du 3 au 4 novembre à 1 heure du matin faisaient apparaître une majorité de 559.000 oui contre 62.000 non, y compris le vote des militaires. Mais les résultats définitifs officiels ont été comptabilisés exclusivement à partir des suffrages des civils soit 321.373 oui contre 53.584 non. Seul le XXème arrondissement avait accordé une courte majorité au non, par 9.635 voix contre 8.291.

[8Journal du siège de Paris, op.cit, p.205.

[9Journal du siège de Paris, op.cit, pp.74-75.

[10Journal du siège de Paris, op.cit, p.74.

[11Journal du siège de Paris, op.cit, p.268.

[12Journal du siège de Paris, op.cit, p.309.

[13ROUGERIE (Jacques) La Commune de 1871, Que sais-je n°581, Paris, Presses Universitaires de France, 1988, p.46.

[14Journal du siège de Paris, op.cit, p.147.

[1515 Journal du siège de Paris, op.cit, p.118.

[1616 Entrée du mercredi 25 janvier 1871 du Journal du siège de Paris, op.cit, p.362.

[1717 Journal du siège de Paris, op.cit, p.147. Ce portrait peu charitable de Garibaldi est d’autant plus injuste et désobligeant qu’il précède immédiatement, à la manière d’un faire-valoir, les propos élogieux sur Thiers analysés ci-dessus.

[18Cité dans l’entrée du jeudi 27 octobre 1870 du Journal du siège de Paris, op.cit, p.181. La thèse de la trahison du maréchal Bazaine relève en fait de la légende et de l’accusation infondée. Elle fut cautionnée dès le 31 octobre 1870 par une dénonciation publique de Gambetta. Bazaine devait être ensuite condamné par le Conseil de guerre du Trianon en 1873 : la défaite de la France trouva ainsi une explication simple et commode qui arrangea en particulier l’ensemble de la classe politique. L’historien Maurice Baumont, entre autres, en s’appuyant sur une documentation inédite, a fait justice de la thèse d’un Bazaine jouant sa carte personnelle en montrant qu’il était resté loyal envers le Gouvernement de la Défense nationale. Bazaine a été victime d’un injuste acharnement et il a constitué un bouc émissaire commode, dont les faiblesses et les erreurs réelles ne doivent pourtant pas masquer les responsabilités collectives du désastre de 1870.

[1919 Entrée du vendredi 28 octobre 1870 du Journal du siège de Paris, op.cit, p.183. Le Combat fut effectivement interdit par le Gouvernement de la Défense nationale à la suite de la journée du 22 janvier 1871, dans un ensemble de mesures répressives frappant l’extrême gauche parisienne dans la perspective de la conclusion des négociations d’armistice avec l’Allemagne.

[20Entrée du jeudi 3 novembre 1870 du Journal du siège de Paris, op.cit, p.204.

[21Journal du siège de Paris, op.cit, pp.104-105.

[22Journal du siège de Paris, op.cit, pp.25-26.

[23Journal du siège de Paris, op.cit, p.203.

[24Entrée du mercredi 18 janvier 1871 du Journal du siège de Paris, op.cit, p.335.

[25Entrée du jeudi 15 septembre 1870 du Journal du siège de Paris, op.cit, pp.25-27.

[26Entrée du jeudi 3 novembre 1870 du Journal du siège de Paris, op.cit, p.203.

[27Journal du siège de Paris, op.cit, p.342.

[28Journal du siège de Paris, op.cit, p.79.

[29Journal du siège de Paris, op.cit, p.92.

[30Entrée du vendredi 30 septembre 1870 du Journal du siège de Paris, op.cit, p.103.

[31Lors de l’entrevue de Ferrières, selon le récit de Jules Favre rapporté par Jacques-Henry Paradis dans son entrée du jeudi 22 septembre 1870, Bismarck avait effectivement mis en cause la représentativité du Gouvernement de la Défense nationale et la précarité de sa position face à la « populace » de Paris.

[32Entrée du vendredi 7 octobre 1870 du Journal du siège de Paris, op.cit, pp.121-122.

[33Journal du siège de Paris, op.cit, pp.194-195.

[34Journal du siège de Paris, op.cit, p.259

[35Cette prison était située en face de la gare de Lyon, dans le XIIème arrondissement. Édifiée au milieu du XIXe siècle sur le modèle du régime carcéral américain, elle était avant tout destinée aux détenus de droit commun. Elle fut démolie en 1898 dans la perspective de l’exposition universelle de 1900, afin d’éviter aux visiteurs arrivant en gare de Lyon la vue d’une prison.

[36Journal du siège de Paris, op.cit, p.342.

[37Entrée du mardi 25 septembre 1870 du Journal du siège de Paris, op.cit, p.73.

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