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- Q.L N° 082-083 - OCTOBRE 2000
- Jacques Villeglé - Pierre Henry
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Jacques Villeglé - Pierre Henry
Une expérience exceptionnelle destinée à expérimenter l’art des correspondances
Depuis leur construction, la Cité de la Musique et le musée rayonnent bien au-delà des concerts et des expositions. En accueillant Jacques Villeglé et Pierre Henry, le magnifique édifice conçu par Christian de Porzamparc -article Quartiers Libres N°62-63 de décembre 1995-, nous l’a encore démontré . Ballade dans la "rue musicale" pour découvrir deux des plus grands artistes contemporains inspirés par la rue.
Offrir au plus large public l’occasion d’admirer deux œuvres aussi populaires que celles de Jacques Villeglé et de Pierre Henry fait preuve de générosité. La rue, lieu de rencontres et de dialogue où sollicitations sonores et visuelles peuvent prendre des allures d’art et non de nuisances. Quel pari ! Depuis 1996, la Cité de la Musique sait exploiter son espace de 1120 M² aux courbes douces baignées de lumière pour présenter au public, en accès libre, des expositions ludiques telles que Les sons des bambous, Voyage à travers la voix, sculptures sonores Baschet… Cette intention lui permet de lier les collections historiques et la création contemporaine.
L’exposition "Dans la rue" a rassemblé une cinquantaine d’affiches consacrées aux musiques amplifiées à qui Jacques Villeglé a donné un titre reprenant le nom des groupes qui y figurent. Sorte de reconnaissance à ces musiques et aux salles de spectacles qui ont sauvé l’affichage sauvage, surtout au sud de la Loire où il est plus répandu. C’était, plus encore, faire un clin d’œil amical aux musiciens, interprètes solistes ou groupes allant du reggae au rap en passant par la variété ou la techno, qui ont constaté leurs affiches lacérées. Ainsi, au gré d’un parcours électroacoustique, les visages et les noms se découvrent mutilés sous la houlette de Jacques Villeglé qui déchire avec audace les épaisseurs de papiers accumulées par le colleur d’affiches. Qui n’a pas été suspendu à son pinceau jusqu’à ce que l’image se forme entièrement ? Jacques Villeglé, lui, opère dans le sens inverse en défaisant par petits morceaux les annonces en tout genre, politiques, culturelles ou sociales, toutes y passent sans exception.
Sa démarche relève d’une réelle simplicité dans la mesure où la rue est un champ d’investigation remarquable car tout ce qui s’y passe relève de l’intemporalité. Et Jacques Villeglé de revendiquer son appartenance à la deuxième moitié du XXe siècle et d’être qualifié de "peintre au-delà des règles d’avant". Voilà comment on peut définir celui qui veut délibérément ne pas appartenir à la famille des plasticiens, qu’ils soient figuratifs ou abstraits. Lui-même a écrit dans son ouvrage Orbi et Urbi "Dans le climat de sous-information de l’après-guerre, je pris mes distances vis-à-vis de l’acte de peindre ou de coller. Je pensais que l’absence de préméditation, de toute idée préconçue, devait devenir, non seulement pour moi, mais universellement, une inépuisable source d’art, d’un art digne des musées. Le résultat obtenu par le geste machinal et agressif d’un quelconque passant, lacérateur d’affiches, devait donner à voir et être mis sur le même plan que la tyrannie du don qui crée chez l’homme cultivé le besoin de s’assouvir plastiquement". Dès 1949, il rejoint le groupe des affichistes, ou plus justement des décollagistes, constitué par Raymond Hains -breton comme Jacques Villeglé-, puis le poète François Dufrêne en 1957 et enfin Mimmo Rotella en 1960.
Inutile de vous dire que l’exposition des affiches lacérées à la première biennale de Paris, d’octobre 1959, provoqua un scandale mais ce qui était qualifié de torchon de papier industriel faisait son entrée magistrale et officielle dans l’histoire de l’art. Mieux encore, les décollagistes entraînent Gérard Deschamps, Yves Klein, Arman, César, Jean Tinguely, Niki de Saint-Phalle et quelques autres à créer le mouvement des Nouveaux Réalistes.
Quelle que soit l’idée esthétique que l’on se fasse, l’affiche lacérée, qui a constitué davantage un accident dans l’histoire de la peinture, s’impose aujourd’hui dans les écoles d’art et les musées français. Par exemple, le Musée de l’Histoire Contemporaine des Invalides expose l’œuvre Nation-République que Jacques Villeglé a réalisée en 1958 et "un siècle de manipulation par l’image" tandis que le Musée d’Art Moderne de Paris conserve deux affiches datant de 1965. Le Musée Beaubourg n’est pas en reste avec trois affiches, en province, au Musée d’Épinal l’œuvre Buttes-Chaumont, la Tate Modern Gallery de Londres, l’Allemagne et les États-Unis le mettent aussi à l’honneur à l’occasion d’expositions majeures, notamment au Muséum of modem Art de New-York.
Ses prochaines expositions concernent le musée de Menton d’ici la fin 2000 et deux autres seraient prévues à Chicago et à San Francisco.
Les affiches se conservent bien grâce à la qualité du papier et de l’encre. Elles résultent du travail, en amont, d’équipes de chromistes et de typographes au service des publicitaires. La boucle est bouclée car Jacques a commencé son travail par récupérer et collectionner des déchets, pour la plupart issus des produits de consommation, passés au crible de la publicité avant d’être jetés. Dans un deuxième temps, il lacère le support de communication de ces mêmes objets. Le geste du lacérateur est impulsif ; lorsqu’il arrache, il ignore ce qui va paraître dans les couches de papier inférieures et lorsqu’il déchire, il n’a que faire des proportions et des harmonies. Sa démarche se distingue de celle des graffiteurs new-yorkais qui firent l’actualité artistique des années quatre-vingt en affirmant leur Non ! à la société. En fait, il s’associe à ceux dont les actes relèvent d’un certain vandalisme et accomplit ainsi sans effort l’ultime projet de l’artiste moderne : introduire sur la scène de l’art la vie simple et vraie.
Les affiches sont véritablement reconnues comme art en dépit de la réticence des conservateurs. Ce qui est sûr, c’est qu’on ne peut pas passer à côté de ce mode d’expression largement répandu par Jacques Villeglé qu’on ne peut pas cataloguer de militant, disons plutôt qu’il ramène le public à son histoire.
Peut-on dire qu’il est philanthrope quand son œuvre accepte uniformément les différences ethniques et culturelles ? Les affiches et la musique témoignent d’un métissage complet. Les affiches mettent tout et tous sur un pied d’égalité et constituent un témoignage sociologique.
La rue inspire Jacques Villeglé depuis 1958, date de sa rencontre avec Pierre Henry. Ce qui les rapproche, malgré leurs différences, c’est un côté illisible, des sons d’une part, des affiches d’autre part. Chacun a travaillé l’exposition de son côté mais à partir d’un consensus convenu au départ, à savoir, un scénographe était chargé d’accrocher les affiches en perspective, suivant un système de lignes médianes, puisque le son venait lui aussi en perspective. Pierre Henry a accepté de fonctionner dans un esprit nouveau, ce qui ne lui a pas été trop difficile car il est revendiqué par les groupes actuels de techno comme leur prédécesseur. Il utilise des bruits urbains et concrets, c’est sa manière d’accepter la vie contemporaine et sa transformation. Finalement, les affiches de Jacques Villeglé peignent le temps présent et cette exposition l’a relié à Pierre Henry, auteur de Messe pour le temps présent, composée pour un ballet de Maurice Béjart en 1967.
Du haut de leurs soixante-dix ans passés, tous deux forment un duo de générosité et de tolérance. De jeunesse et de modernité sans nul doute.
Sylviane Martin
Photos Yves Géant
Biographie : Villeglé
1926 naissance à Quimper
1947 début de sa collecte des "objets trouvés" et des "débris éclatés du mur de l’Atlantique"
1949 s’installe à Paris 1957 première exposition d’affiches lacérées
(galerie Colette Allendy)
1958 début de ses relations avec Pierre Henry
1982 exposition Les Présidentielles de 1981
1999 exposition Apparitions concertées (Confort moderne de Poitiers avec Pierre Henry) et Mots
(galerie G. Ph & N. Vallois, Paris)
Biographie : Pierre Henry
1927 naissance à Paris 1937 entre au Conservatoire de Paris
(classes d’O. Messiaen, F. Passerone et N. Boulanger)
1949 Symphonie pour un homme seul (avec P . Schaeffer)
1950 chef des travaux au Groupe de Recherche de Musique Concrète de la radio
1955 ballet de M. Béjart sur la Symphonie pour un homme seul
1958 fonde son studio APSOME 1982 nouveau studio SON/RE subventionné
par le ministère de la Culture et la Ville de Paris
1996 Intérieur / extérieur
1998 hommage des Victoires de la musique.
Bibliographie :
Villeglé Techno Rapt, 1999, éd. Vers les Arts
Liens et Lieux contrastes de J. Villeglé, 1998, éd. Dourven
Walker Evans and Company, livre d’art où figure une affiche de J. Villeglé
Pierre Henry : Journal de mes sons, éd. Séguier, 1996
Musicographie : Intérieur / extérieur- Messe pour le temps présent- La dixième remix - La ville chez Philips.
En couverture de ce n°82-83 de Quartiers Libres : Jacques Villeglé dans les rues de Ménilmontant, par Yves Géant.
Article mis en ligne en 2010 par Mr Antoine Seck, collaborateur à La Ville des Gens. Actualisé en février 2014.
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