« Dans le coin » Acrylique 1991, 162x130cm.
Ce dimanche de Pâques, 23 mars, Jean Rustin nous reçoit dans son nouvel appartement. L’intérieur en est joyeux et d’emblée l’immense bibliothèque retient notre attention. Construite par l’artiste, parfaitement proportionnée, elle accueille, en plus de livres patinés, une très belle collection de jouets anciens réunis par sa défunte épouse, célèbre médecin.
« Faisons connaissance » nous dit Rustin qui se prête avec une extrême gentillesse à l’éternel petit jeu des questions et des poses à prendre devant l’objectif d’Yves Géant. À ma question : « accepteriez-vous une lecture politique de l’ensemble de votre production ? » la réponse est un « oui » plus que franc, un « oui » qui veut dire : « mais bien évidemment ! ».
La thématique de la folie qui l’occupe depuis 1971 (année de sa fameuse rupture avec les beaux tableaux colorés, abstraits) relève encore de cette folie d’un monde (selon la formule de Michel Foucault) qui, chaque jour, interpelle le citoyen français comme le citoyen du monde. Folie de la modernité triomphante, mythe du progrès éternel qui nous mène fatalement aux ruptures de la raison. Les corps d’aliénés de Rustin sont nôtres, ou plus exactement notre part maudite, celle que nous ne voulons ou ne pouvons pas voir. Etouffés à coup de camisoles chimiques, d’alcool, de drogue ou de surmenage urbain, ces corps sexués sont soustraits la plupart du temps à nos regards et renfermés derrière les hauts murs des HP (deux lettres pour ne surtout pas dire « psychiatrique »).
Jean Rustin a ceci de formidable et de politique qu’il nous oblige à voir ce que la société du spectacle (ancêtre de la nouvelle société du « Bling Bling »), ne peut admettre. Le corps et la psyché de l’aliéné, échappant à tout dressage de la « saine » Raison, induisent des questions que le consommateur pressé n’a plus le temps ni surtout l’envie de résoudre. Rustin, lui, l’a pris ce fameux temps. Il nous montre cette absence au monde qui hurle sa douleur au cœur de l’histoire du xxe siècle. Grâce lui soit donc rendue d’avoir si bien rendu notre part d’obscurité.
À propos de folie… Sur le départ, Rustin nous avouera n’avoir jamais reçu, ces trente dernières années, une seule visite des conservateurs de Beaubourg. Rustin est donc encore l’un de ces peintres immenses que l’État français, fidèle à ses mauvaises habitudes, a scandaleusement négligé. Mais qui dépeindra donc un jour l’aliénation esthétique de ces « beaux messieurs » de l’histoire de l’art ?
Bruno CHENIQUE
Photos © Yves Géant
Fondation Rustin
38, boulevard Raspail
75007 Paris
M° Sèvres Babylone
Article mis en ligne en 2010 par Salvatore Ursini. Actualisé en octobre 2013.
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