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Les Chinois de Meili Cheng à Belleville

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"On s’était dit qu’ils ne fra nchiraient pas la rue des Pyrénées ; eh bien si, ils l’ont fait !" : cette exclamation d’un habitant du 19e arrondissement illustre l’étonnante progression dans le quartier des immigrés chinois bien mieux que toute statistique. Et cela d’autant plus qu’il n’existe que des évaluations assez vagues de leur nombre réel.

En effet, l’actuelle immigration chinoise en France, qui ne représente qu’une petite partie de la vague sans précédent qui se propage à travers le monde entier, semble ne pas tarir et draine avec elle un certain nombre de clandestins. Ainsi, selon les chiffres les plus couramment avancés, les Chinois seraient aujourd’hui de 100 à 250 000 dans la capitale. Même à supposer qu’il y ait eu un grand nombre de naturalisations, ces chiffres semblent assez minimalistes : on estimait déjà à 25 000 les Asiatiques, pour la plupart d’origine chinoise, qui investissaient le 13e arrondissement au cours des années 1970. Ces chiffres ne font pas le détail non plus : ils englobent tant les premiers immigrants, dont une partie s’était déjà installée à Belleville, que les nouveaux arrivants, dont l’implantation au cours de ces dix dernières années s’est essentiellement effectuée sur un axe allant du 10e arrondissement jusqu’à Bobigny en débordant sur les 11e et 20e arrondissements. Pourtant, les uns et les autres n’ont en commun que d’être chinois. Certes, c’est beaucoup, surtout quand on connaît la traditionnellement forte identification des Chinois à leurs origines et à leur culture. Mais c’est aussi relativement peu quand on sait que la Chine est un immense pays aux nombreux particularismes régionaux et à l’Histoire compliquée. En d’autres termes, il y a Chinois et Chinois.


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Entre les immigrés qui ont peuplé la première Chinatown de Paris située dans le 13e arrondissement et ceux qui sont en train de constituer une deuxième ville chinoise autour de Belleville, il y a tout d’abord une différence d’origine. Pour la plupart précédemment établis au Vietnam, Cambodge et Laos, les premiers sont surnommés Techow, du nom cantonais d’une ville (Chaozhou en mandarin) située dans la province méridionale du Guangdong d’où sont partis nombre d’émigrants. Arrivés en France à partir de 1975, les Techow ont fui les troubles qui ont secoué la péninsule indochinoise. Ainsi notamment de ceux qui, parmi eux, appartenaient à la bourgeoisie urbaine peu rassurée par l’arrivée au pouvoir des communistes. Ces réfugiés ne sont généralement pas arrivés les mains nues en France. Membres de cette diaspora chinoise traditionnellement attachée à sa culture et transportant partout un parfum de vieille Chine - même ceux qui, enfants, sont passés par les écoles françaises de l’ex Indochine -, ils n’étaient pas non plus dépourvus d’instruction. Doués pour le négoce, implantant des commerces et restaurants prospères, ils ont généralement réussi. D’ailleurs, certains délaissent maintenant les tours de béton du 13e arrondissement qu’avaient boudées les Français trente ans plus tôt et s’achètent des maisons de standing à Marne-la-Vallée, Torcy, Noisiel et autres villes proprettes de l’est parisien.


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Beaucoup moins bien lotis sont les derniers arrivants. La plupart d’entre eux sont des Wenzhou, du nom, là encore, de leur localité d’origine, une ville portuaire moyenne située au sud de Shanghai, dans la province pauvre du Zhejiang. Dans les années 1930 déjà, des Wenzhou fuyant la misère étaient venus s’installer en France. Ces pionniers s’étaient fixés dans le quartier du Temple, où ils s’étaient pour la plupart faits maroquiniers. Le point de chute des nouveaux arrivants s’étend de Meili Cheng - traduction de Belleville en chinois ! - jusqu’à Bobigny. Ces Wenzhou débarquent généralement sans le sou. Certains arrivent même criblés de dettes, cas notoire des clandestins qui ont à rembourser le coût exorbitant de leur passage. Et alors qu’un rêve fou d’améliorer leur sort, voire de faire fortune, les a poussés dans la grande et périlleuse aventure de l’émigration, beaucoup se retrouvent plongeurs dans des restaurants ou petites mains dans des ateliers de confection. Mais ils ne sont pas du genre à s’attendrir sur leur sort : ils affichent plutôt une ferme volonté de s’en sortir et affirment généralement avoir laissé la Chine derrière eux sans regret ni désir de retour. Au demeurant, ces parents pauvres de l’émigration sont rarement bien vus par leurs compatriotes.

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"Ce sont des ploucs qui ne pensent qu’au fric" tranche un Shangaïen qui, comme beaucoup de Shangaïens, ne semble pas souffrir d’un complexe d’infériorité trop prononcé. "Les Shangaïens ne crachent pas du tout sur l’argent, mais c’est vrai qu’ils se soucient plus que nous d’être cultivés" confirme avec un franchise déroutante une Wenzhou d’une trentaine d’années, dont le plus grand rêve est de devenir un jour patronne d’un atelier de confection. Un homme marié, arrivé en France avec sa femme il y a quatre ans, traite, lui, la question avec autodérision : "Nous aussi, nous avons amené avec nous un certain héritage culturel chinois, mais c’est vrai que ce que nous avons le mieux conservé, ce sont les mauvaises habitudes. Par exemple, nous ne nous déplaçons pas sans cadeaux : un Tel se marie ? Une Telle a un enfant ? Toutes nos économies y passent : pas question de passer pour radin ou sans le sou. Alors, comment voulez-vous qu’on ne se soucie pas de gagner de l’argent !". Pour d’autres, les bonnes manières sont certes appréciables, mais un peu superflues quand on est pris dans une lutte pour la survie : "On nous reproche de parler trop fort ou de cracher par terre ; mais c’est difficile de changer les vieilles habitudes !" avoue une jeune femme avec la même déconcertante sincérité. En réalité, tous les Wenzhou ne sont pas aussi hauts en couleur. Témoin ce serveur de bar, aux attitudes très confucéennes faites de réserve et de pudeur, à qui son patron reproche de passer inaperçu des clients ! Et puis, il y a toujours pire que soi. C’est du moins ce que pensent les Wenzhou, quand ils croisent dans la rue des Dongbei.


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Comme leur nom l’indique, les Dongbei viennent du nord-est de la Chine. Pour eux, l’émigration est un fait nouveau, lié à la fermeture par les autorités chinoises de grandes entreprises d’Etat improductives. Ces victimes du libéralisme économique forcené dans lequel s’est engagée la Chine sont souvent d’anciens ouvriers, voire des cadres qui ont tenté de se reconvertir dans le commerce. Peu nombreux, sans parents ni connaissances à Paris, ils sont généralement deux fois plus exploités que les autres. En particulier les femmes, dont un certain nombre se livrent à la prostitution : "Elles nous font perdre la face", commente avec une moue de dégoût une jeune femme Wenzhou…

On le voit, la communauté chinoise à Paris est loin d’être monolithique. Le plus souvent, Techow, Wenzhou et Dongbei s’ignorent entre eux. A l’intérieur des différents groupes eux-mêmes, la cohésion n’est pas toujours parfaite. Ainsi y a-t-il parmi les Wenzhou "un clivage entre ceux qui ont des papiers et ceux qui sont en situation irrégulière", les premiers tenant à distance les seconds "de crainte de s’attirer des problèmes" affirme l’un d’eux en ajoutant : "Chacun d’entre nous tente de s’en sortir par ses propres moyens". Avec le temps, la plus grande solidarité qui s’exerçait parmi les Techow n’est plus non plus la même. C’est que la progéniture des premiers immigrés est déjà à moitié intégrée. Elle s’est d’ailleurs trouvé un joli surnom : celui de "génération banane", jaune à l’extérieur et blanche à l’intérieur…


Claude Geoffroy



Article mis en ligne en février 2015.

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