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La Grande Halle de la Villette

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Rainer Werner Fassbinder


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Le secret de Véronika Voss avec Rosel Zech.


Durant un mois, du 21 novembre au 18 décembre 1996, la Villette a rendu hommage au réalisateur allemand Rainer Werner Fassbinder. Comédien, auteur dramatique, metteur en scène, réalisateur, Fassbinder a dominé par son œuvre les années 70. Cette œuvre reproduit le cheminement intellectuel et les débats de fond de cette décennie qui inclut évidemment les problèmes de la génération de 68. Elle pose également la question de la naissance d’un peuple car l’interrogation de Fassbinder est toujours la même : celle de la naissance de la démocratie en Allemagne, naissance difficile puisque résultant du fascisme et de la guerre.

Dans toute son œuvre les destins individuels, dans leur insignifiance même, ont à voir avec l’histoire et la tragédie. Et c’est sans doute parce que son univers est celui de la désespérance, de la marginalité aussi que Fassbinder, comme Jean Genet en son temps, est resté longtemps méconnu voire volontairement ignoré d’un large public. C’est tardivement qu’il a rencontré le public, allemand et français, dans les années 80 avec Le mariage de Maria Braun, son trente troisième long métrage !

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Rainer Werner Fassbinder.

Fassbinder a écrit douze pièces de théâtre et réalisé plus de quarante films en seize ans dont une vingtaine seulement a été distribuée en France. C’est la première fois que la magnifique adaptation du roman homonyme d’Alfred Dablin, Berlin Alexanderplatz, est présentée publiquement dans le cadre de la manifestation organisée par la Villette. Cette rétrospective est un hommage largement mérité qui montre, par son succès et l’intérêt suscité, que son œuvre reste plus que jamais d’actualité. Fassbinder a su mieux que personne décrire dans une société déchirée les angoisses et les incertitudes qui planent encore aujourd’hui sur nous tous.

Fassbinder… le cinéaste de l’Allemagne…

Né en Bavière en 1945 à la fin de la guerre, Fassbinder n’a pas connu les années terribles de l’Allemagne nazie triomphante puis humiliée. Pourtant tout ce qu’il écrit, réalise, démontre est à l’image d’un pays ruiné, privé d’âme, accablé de honte, honte qu’il ressent lui-même très jeune parce que sexuellement différent dans une Bavière comblée mais bourgeoise et étriquée. "Fassbinder n’est pas un cinéaste allemand, il est le cinéaste de l’Allemagne… tâche particulièrement écrasante, brûlante dans cette Allemagne qui a construit sa renaissance sur l’amnésie collective du Troisième Reich."

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Effie Briest.

Sans ordre chronologique l’œuvre de Fassbinder "prend en écharpe" un siècle d’histoire allemande, du XIXe siècle à l’époque qui lui est contemporaine (il meurt le 10 juin 1982). Il Y aborde les thèmes qui lui semblent essentiels et dont la récurrence est pour lui une nécessité : la solitude et l’exclusion d’une société moraliste (Effie Briest), l’irruption terroriste (La troisième génération), l’immigration (Le bouc-Tous les autres s’appellent Ali), la prétendue libération sexuelle (Les larmes amères de Petra von Kant), la montée du nazisme (Berlin Alexanderplatz), le boom économique (Lola, une femme allemande). Cette énumération n’est pas exhaustive, bien sûr, mais la rétrospective de la Grande halle de la Villette a embrassé l’essentiel de son œuvre en évoquant tous les aspects de la production de ce réalisateur et dramaturge exceptionnel.

Berlin Alexanderplatz

Au centre de cette œuvre prolifique se situe l’admirable Berlin Alexanderplatz, réalisé pour la télévision allemande en treize épisodes et un long épilogue, le tout sur une quinzaine d’heures. Le roman d’Alfred Döblin (1927) contenait toutes les références au contexte politique du moment (crise, chômage, montée du fascisme et de l’antisémitisme en Allemagne… ).

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Berlin Alexanderplatz - Museum of Modern Art.


Dans son adaptation, Fassbinder a fait preuve d’une fidélité totale au roman de Dablin, il en a gardé l’essence même, la dimension humaine exceptionnelle. Et sa fidélité prend d’autant plus de force qu’il intègre le roman à sa propre œuvre faisant de Berlin Alexanderplatz le miroir de celle-ci contenant, "en anamorphoses", tous ses films passés et à venir. On y retrouve tous les thèmes qui ont occupé jusqu’à l’obsession l’esprit de Fassbinder et qu’il traite ou a traité dans d’autres réalisations théâtrales ou cinématographiques. Ainsi dans L’année des treize lunes, une de ses pièces les plus fameuses, la rencontre des deux personnages centraux rappelle-telle celle du héros de Berlin Alexanderplatz, Franz Biberkopf, avec Reinhold, son double, son mauvais génie qui le conduira à sa perte. Fassbinder a d’ailleurs très souvent employé les mêmes acteurs pour jouer des rôles identiques mais inversés, montrant ainsi que le bien et le mal, le rôle de victime ou de bourreau, de maître et d’esclave n’étaient en définitive que l’expression d’une même personnalité se transformant suivant les circonstances.


Yann Lardeau [1] dans les Cahiers du Cinéma consacrés à Fassbinder a employé l’expression très significative de "pôles psychologiques antagonistes d’une même personnalité". Chacun des pôles antagonistes moraux symbolisés par Franz Biberkopf et Reinhold dans Berlin Alexanderplatz va engendrer une lignée de personnages qui se retrouvent dans la totalité des réalisations de Fassbinder. On pourrait à l’infini mettre en parallèle les personnages de ce film et ce qu’ils expriment avec ceux de tous les autres films et pièces de Fassbinder. On trouverait des réseaux innombrables de correspondances entre tous ou presque tous. Il faut cependant noter encore quelques aspects particulièrement marquants dans cette œuvre foisonnante.

Une Allemagne terrorisée par les fantômes d’hier…

Outre les grands thèmes déjà cités plus haut, Berlin Alexanderplatz est le film de l’errance, du déracinement qui aboutit souvent à l’exclusion : solitude du héros qui sort de prison et aura du mal à trouver sa place dans une société méfiante et frileuse, solitude et rejet éprouvés par Salem dans Tous les autres s’appellent Ali. Et tout comme l’ancien prisonnier, l’homme au teint basané ou encore l’immigré qui ne parle pas la même langue, l’homosexuel lui aussi est condamné à vivre à part dans le secret et la dissimulation, même s’il a cru choisir sa condition à la différence des autres exclus. Et l’Allemagne que filme Fassbinder est une Allemagne terrorisée par les fantômes d’hier, annoncés dans Berlin Alexanderplatz, et le possible réveil des démons du nazisme qui sèment la peur chez la plupart des personnages de ses films.

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Les larmes amères de Petra von Kant.


Yann Lardeau associe Fassbinder à Nagisa Oshima et à Pier Paolo Pasolini. Ces trois hommes ont marqué de leur empreinte le cinéma des années soixante-dix. Ils viennent tous trois de pays qui ont engendré le fascisme et perdu la guerre. Comme Pasolini, plus connu en France qu’Oshima, Fassbinder est le cinéaste du refus d’oublier, de la dénonciation du silence et du danger qui guette la démocratie. C’est le peintre de la misère, des exclus, des déclassés, mais aussi le cinéaste du désir exprimé" comme pulsion, comme énergie sur quoi vient buter toute norme sociale".


Cécile Horn


Article mis en ligne en 2010 par Mr Antoine Seck, collaborateur à La Ville des Gens. Actualisé en janvier 2014.

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[1"Rainer Werner Fassbinder" de Yann Lardeau dans "Les Cahiers du Cinéma" (collection Auteurs)

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