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De la guerre des Gaules à la guerre d’Algérie

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2000 ans de métissage culinaire


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La vie quotidienne dans nos arrondissements populaires, et nous appartenons à ce peuple, nous démontre comment le mélange des genres se transforme en vertu républicaine et devient un facteur d’intégration. Par le sperme et par le sang, tous les hommes deviennent frères (au moins cousins) ; par le safran et par le sucre, par les cuissons lentes à l’étouffée, les parfums euphorisants des poudres délicates, ils essayent de conserver cette fraternité vacillante par des banquets conviviaux. Passant du génétique au culinaire, le métissage devient accessible et chacun comprend mieux l’autre en partageant ses coutumes gustatives.

La cuisine française est la première du monde !… ?…

Le Français s’enorgueillit de déclarations suaves sur sa gastronomie et les réputations sont tenaces : la cuisine française est la première du monde ! La première en quoi ? S’il s’agit de la variété et de la finesse, nous devons à la vérité de reconnaître que la première cuisine du monde, c’est la cuisine chinoise.

Toutefois, pour le monde occidental, la primauté dans l’art de déguster les mets revient incontestablement à la douce France.

Comme pour le bœuf en daube, le coq au vin ou la gigue de chevreuil à la Beaujeu, le temps a joué son rôle à la fois pour donner de la maturation mais aussi pour permettre l’assimilation des nourritures laissées par tous les visiteurs, désirés ou indésirables, qui traversèrent ou séjournèrent plus ou moins longtemps sur le sol national.

Grâce à plus de 2000 ans d’apports extérieurs, la cuisine française est maintenant - mais pour combien de temps encore - la première du monde.

Les armées romaines apportent le vin.

La première campagne consignée dans les livres d’histoire l’a été sous la plume de son vainqueur, Caius Julius Cesar dans La Guerre des Gaules. C’est aussi le premier choc gastronomique, la première alliance retenue par les bouches rabelaisiennes. Les armées romaines apportent le vin.

Les Latins ont hérité de la vigne biblique transmise par les marins et les commerçants Grecs. Les vins sont transportés dans des outres en peaux de bique ou dans des amphores vernissées. Dans le premier cas, le liquide prend le goût âcre de la chèvre ; dans le second, si la terre du vase conserve la boisson fraîche, elle ne l’empêche pas de tourner rapidement en vinaigre lorsque le flacon est entamé.

Les centurions romains apportent dans leurs fourgons quelques amphores de vin propre à soigner les blessures du corps et de l’âme. Les mercenaires gaulois et les populations vaincues et asservies partagent avec l’occupant la cervoise mousseuse conservée dans des tonneaux de chêne ou de châtaignier. On ne saura jamais qui du Romain ou du Gaulois eut le premier l’idée de transvaser le vin d’une outre ou d’une amphore dans un tonneau neuf !

De la chèvre poitevine et du mulet de bât…

Quelques siècles plus tard, il vient à l’idée de Abd-Er-Rhaman-Ibn-Abdalla-El-Gafiki de quitter l’Espagne pour camper en 732 devant la bonne ville de Poitiers. L’intendance accompagne l’armée du chef de guerre mélangeant des artisans experts en armements, des courtisanes expertes en jeux d’alcôves et des artistes experts en art culinaire. Pour avoir du lait et de la viande fraîche, ils poussent devant eux un troupeaux de caprins rustiques donnant par tête quelque 700 litres de lait par an.

Après une défaite inattendue, les combattants musulmans sont démobilisés sur place. Ils font souche avec leur bétail sur la terre accueillante de la région de Mirebeau où les quatre saisons apportent leur variété de nourriture. Leurs descendants développent l’élevage de la chèvre poitevine et du mulet de bât dans tout le Poitou. Ils s’appellent aujourd’hui Morel, Moreau, Morin ou Sarrazin.

Les premiers fromages sont vendus sur les marchés sous le nom d’al chabi qui se transforme avec le temps en chabi, puis devient chabichou par l’adjonction du suffixe "ou", diminutif courant en langue d’Oc.

L’humaniste découvre aujourd’hui les traces d’une immigration intégrée de manière pacifique et savoureuse.

Les centurions n’avaient apporté dans leurs bagages que le vin et les pois chiches qu’ils prélevèrent en Libye et en Palestine. Sous leur forme séchée, ils régaleront François Rabelais. Le philosophe les prépare à l’étouffée avec un gros morceau de lard.

Le safran : l’or orange…

Alors que les Grecs et les Latins connaissaient le safran, c’est encore aux Arabes intégrés au royaume par Carloman et par Pépin-le-bref qu’on doit l’épice que les commerçants du Moyen-Âge appellent "l’or orange". Les premières véritables cultures européennes de la plante à safran remontent à l’installation des Maures en Espagne qui, à partir du VIIIe siècle, ne cessera jamais d’occuper la 1ére place des productions. Les familles musulmanes qui ont fait souche plantent le safran sur les terres d’occupation. Les épicier arabes (déjà) font de l’Agennais le premier fournisseur en safran du royaume franc, et cela jusqu’à la Grande-Guerre de 1914. Les nutritionnistes de toutes les époques reconnaissent au safran des vertus médicinales et les étudiants mauresques, admis par dérogation religieuse à la Faculté de médecine de Montpellier, l’introduisent dans la pharmacopée occidentale. Au XIIIe siècle, Roger Bacon, le médecin franciscain anglais dira que le safran retarde la vieillesse.

Le sucre… Le caramel

Il est impossible de passer en revue toutes les délices rapportées des Croisades (1096- 1270). S’il ne fallait retenir qu’un seul des bienfaits de ces huit expéditions qui pendant deux siècles mirent l’Europe en mouvement, le gourmet ne se souviendra que du SUCRE.

C’est dans l’île de Qandi, nom médiéval de l’île de Crète, que les Arabes avaient installé la première raffinerie de jus de canne dont les effluves furent de ceux qui attirèrent les Croisés comme des mouches vers une tartine de miel. Les manufacturiers musulmans, industrieux et gourmands, inventent le caramel et les bonbons à base de sucre aromatisé aux fleurs d’oranger, de rose, de violette et de mimosa.

Le caramel sert de base aux confiseries et… à la toilette. Les belles de harem s’épilent au caramel ! À l’époque, le sucre est la première des épices et le produit le plus taxé au cours de son voyage entre les ports de débarquement du Languedoc et de Provence et les métropoles consommatrices. Le prix d’or auquel est vendu le sucre limite sa consommation.

Un autre conflit plus meurtrier que deux siècles de Croisades, les guerres napoléoniennes, amènent l’isolement de l’Europe. Les ingénieurs du XIXe siècle naissant cherchent et trouvent un produit de substitution à la canne à sucre, la betterave.

La conquête de l’Amérique

La plus grande expédition coloniale européenne reste la conquête de l’Amérique. Une grande partie des denrées servant de base à notre alimentation actuelle et à celle des animaux domestiques vient d’Outre Atlantique.

Que serait la fête de Noël sans la dinde aux marrons ? Quoi de plus succulent qu’un chapon fermier engraissé patiemment au maïs ? Comment garnir une belle entrecôte cuite aux sarments autrement qu’avec des pommes de terre frites. Le plat parisien par excellence, le beefsteak-pommes-frites, n’existerait pas sans les… "conquistadores" espagnols et sans la ténacité de Antoine Augustin Parmentier, économiste, agronome et… philanthrope.

Parmentier et la pomme de terre salvatrice

Il découvre les vertus du tubercule sous Louis XV, pendant la guerre de Sept ans. Prisonnier des Prussiens, il est nourri comme les cochons du lieu, avec des kartofels. À sa libération et contrairement aux prisonniers habituellement sous-alimentés par de maigres soupes aux choux, il rentre au pays en pleine santé après un an de captivité. Il n’aura de cesse de faire connaître la pomme de terre salvatrice.

Les croyances populaires sont tenaces et chacun est persuadé que la pomme de terre donne la diarrhée ou transmet la peste. Parmentier ne s’avoue pas vaincu. Il fait appel au roy Louis XVI qui, après un repas composé de plats à base de pommes de terre, met à sa disposition la plaine des Sablons, au-delà de la barrière de Maillot.

Pour exciter la curiosité et l’intérêt des consommateurs éventuels, l’ingénieur fait courir le bruit que les champs proches du Jardin d’Acclimatation sont semés de légumes précieux et fait surveiller l’endroit par la troupe.

Chaque nuit, des ombres furtives viennent voler des tubercules arrivés à point ou des plans pour les repiquer dans leur jardin, sans se douter que les Gardes Françaises ont pour instructions formelles de laisser faire ; l’attrait du fruit défendu est tel que tout le monde goûte les tubercules interdits et s’en régale. La Révolution hérite du délicieux légume et la première femme auteur gastronomique, Madame Méridiot, publie en 1793 "La cuisine républicaine", ouvrage de recettes entièrement consacré à la pomme de terre.

Le 24 août 1837, le roi des Français, Louis Philippe et la reine Marie-Amélie inaugurent la première ligne de chemin de fer de voyageurs, de Paris à Saint-Germain-en-Laye. Un banquet est prévu à l’arrivée du convoi. Le plat de résistance est un filet de bœuf rôti avec des pommes de terre frites en rondelles. Le chef commence à faire cuire les pommes de terre à l’horaire prévu mais le train lancé à la vitesse fabuleuse de 26 km/h tarde à venir. Le marmiton retire les frites de l’huile bouillante avant qu’elles n’aient eu le temps de cuire pour pouvoir les remettre sitôt que les officiels commenceront les hors-d’œuvre. Égouttées, les rondelles se racornissent et le maître-queux pense un instant à rejoindre Vatel au paradis des cuisiniers. Mais, comme il n’y a pas de petites économies, il tente de se rattraper en replongeant dans l’huile les pétales devenus mous. Des bulles d’or s’épanouissent dans la friteuse et c’est un triomphe lorsque les pommes soufflées sont servies à la table du roi-bourgeois.

JPEG - 60.4 koLa place manque pour évoquer les bienfaits gastronomiques des campagnes de Napoléon III avec le maréchal de Mac-Mahon rapportant la mayonnaise de la Guerre de Crimée et de l’inversion des habitudes alimentaires entre la France et l’Angleterre due à l’amitié naissante entre les anciens ennemis héréditaires.

Les campagnes de Chine, du Laos et du Tonkin donnent aux Français le goût de l’exotisme. La Deuxième Guerre Mondiale renverse le cognac qui garnissait nos buffets et inonde de flots de whisky les tables et les bars de nos campagnes les plus reculées. La dislocation de l’Empire colonial et l’indépendance des départements du sud de la Méditerranée donnent aux nostalgiques de l’Outre-Mer le goût des mets épicés et développent la consommation du mouton bouilli et rôti. Cette fin de siècle et de millénaire se termine en banquets de tajines et de couscous royaux.

C’est de loin préférable à une débauche de "chiens-chauds" à la sauce tomate sucrée, arrosés d’un liquide brunâtre qui a la couleur et le goût de ce qu’il est, c’est à dire de la M … élasse avec de l’eau gazeuse. Pour la défense du goût par un métissage judicieux, goinfres, gourmands, gourmets et gastronomes de tous les pays ! unissez-vous !


Jean-François Decraene

Photo (1) J.H.
Photo (2) : vitrine de l’épicerie LE CAIRE, 63, rue de Belleville, la caverne d’Ali-Baba - Photo André Lejarre - Bar Floréal.


Article mis en ligne en 2010 par Mr Antoine Seck, collaborateur à La Ville des Gens. Actualisé en janvier 2014.

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