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Alphonse Daudet et Gambetta


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L’année 1998 continue de commémorer la disparition d’Alphonse Daudet, mort à Paris le 16 décembre 1897.

Si beaucoup d’entre nous ont encore en mémoire les délicieuses Lettres de mon moulin, bien peu savent combien Alphonse Daudet fut en son temps une gloire internationale dont le salon, très recherché, accueillait les plus grands noms des lettres, de la musique, de la peinture, et… de la politique. C’est ainsi que parmi les convives qui s’asseyaient à sa table apparaissait parfois Léon Gambetta.

Le truculent et fascinant Gambetta

Le futur député est tout jeune étudiant lorsqu’il devient l’ami d’Alphonse. Arrivé à Paris en 1856, après avoir quitté le collège d’Alès où ses fonctions de jeune surveillant pauvre lui avaient valu moqueries et humiliations de toutes sortes, Alphonse Daudet partage avec son aîné, Ernest, une petite chambre d’étudiant sous les combles de l’hôtel du Sénat, au n° 7 de la rue de Tournon. Une dizaine d’étudiants méridionaux résident-là, exubérants et tapageurs ; parmi eux, un jeune étudiant en droit très brillant, natif de Cahors, Léon Gambetta. Comme les autres, le jeune Alphonse, plein de réserve et de timidité, lève sur le truculent et fascinant Gambetta des yeux admiratifs. Il écrira dans son ouvrage Trente ans de Paris :

"Il était déjà l’homme que nous avons connu et admiré. Heureux de vivre, heureux de parler, ce loquace romain, greffé sur une souche gauloise, s’étourdissant lui-même du cliquetis de ses discours, faisant trembler les vitres aux éclats de sa tonitruante éloquence et finissant le plus souvent par de bruyants éclats de rire. Il régnait déjà sur la foule de ses camarades. Dans le quartier, c’était un personnage, d’autant plus qu’il recevait de Cahors 300 F. par mois, somme énorme pour un étudiant de ces temps reculés."
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Alphonse Daudet.

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Léon Gambetta par Lége.


Il était bien connu dans les cafés du Quartier Latin où pourtant les orateurs ne manquaient pas ; ces rendez-vous de la jeunesse studieuse et généreuse constituaient autant de foyers d’opposition, dans les seuls endroits où il était possible de s’exprimer librement. Chacun avait "ses admirateurs et ses partisans et on allait par bande, en pèlerinage, au Voltaire entendre Larmina, au Procope entendre Pesquidoux, avec la foi naïve, ardente des 20 ans de cette époque-là."

Beaucoup de ces étudiants étaient bien plus forts en verbiage qu’en action et certains ne sont pas allés plus loin que la parole. Gambetta n’était pas de ceux-là et le jeune Alphonse avait rapidement décelé les qualités de son ami et le sérieux de ses entreprises. Les éloquentes diatribes dont il emplissait les cafés ne l’empêchaient pas de se pencher avec assiduité sur son travail d’étudiant et d’obtenir régulièrement ses diplômes et licences. De plus, s’il parlait d’abondance, il savait aussi écouter. Alphonse Daudet ne cessait de s’étonner de la faculté d’emmagasinement de faits et d’idées dont ce cerveau bouillonnant était capable. Mais ce n’était pas là exercice de mémoire sèche ; il savait utiliser dans la réflexion raffinée les connaissances acquises et comme "il se connaissait en hommes", il savait "se faire aimer".

Sa vaste culture et la largesse de ses vues avaient également enchanté Daudet, qui raconte comment Gambetta "brûlait des cours" pour aller admirer les tableaux de maîtres dans les musées. Il s’était érigé en défenseur du peintre François Millet, encore inconnu, qu’il allait soutenir aux ouvertures de salons. Il parcourait le Louvre en compagnie de Théophile Silvestre, remarquable écrivain et critique d’art, très épris de peinture. Ce comportement déliait parfois des langues malveillantes. C’étaient, nous dit Daudet, "des hommes d’État en herbe, dès l’enfance sanglés et cravatés… Ce sont ceux-là encore, mais grandis, qui toujours pleins d’eux-mêmes et toujours hermétiquement bouchés, le traitent en petit comité d’homme frivole et de politique pas sérieux, parce qu’il se plaît en la compagnie d’un garçon d’esprit qui est comédien… " Mais Alphonse Daudet se réjouissait de rencontrer en Gambetta "un de ces rares hommes politiques qui ait des curiosités d’art et qui soupçonne que les lettres ne sont pas sans tenir quelque place dans la vie d’un pays."

Avec le temps, ils s’étaient quelque peu perdus de vue. Mais Alphonse entendait parler de son ami de temps à autre et ne l’avait pas oublié. Il sut le succès étourdissant de sa plaidoirie au procès Baudin en 1868.
 
C’est en 1869 que Gambetta est élu député de Belleville. Alphonse l’avait rencontré peu avant "… toujours agité, sentant la poudre dans l’excitation d’un lendemain de bataille… charmant d’ailleurs, plus que jamais familier et se laissant volontiers arrêter sur son chemin pour parler et rire… "

Lettres à un absent

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Alphonse Daudet.

Mais, la guerre de 70 devait altérer leurs relations. Alphonse, qui s’était enrôlé, avait vécu la guerre et le siège dans les avant postes. Il s’était insurgé contre la reddition et déçu par la République proclamée par Gambetta le 4 septembre, révolté par les atrocités de la Commune, il avait écrit une série de 20 pamphlets, réunis sous le titre Lettres à un absent. Ouvrage clairvoyant, lucide et dur dans lequel il n’épargne ni "les maréchaux d’empire, chamarrés, douillards et ventrus" ni son ancien ami Gambetta qu’on reconnaît fort bien dans "les députés qui ont tous la même manière de se promener dans les couloirs, sous les péristyles, et dont le plus grand crime est encore d’abaisser un peu plus le niveau des consciences, de corrompre l’air autour d’eux." Un de ces pamphlets, intitulé Les dictateurs évoque les jours de jeunesse à l’hôtel du Sénat. Mais le ton en est acide : "Le plus criard, le plus gesticulant de la bande, m’est resté tout particulièrement dans le souvenir … il s’asseyait bruyamment, s’étalait sur la table, se renversait sur sa chaise, pérorait, frappait du poing, riait à fendre les vitres, tirait la nappe à lui, crachait loin, se grisait sans boire, vous arrachait les plats des mains, les paroles de la bouche et, après avoir parlé tout le temps, s’en allait sans avoir rien dit… ce qu’on peut imaginer de plus provincial, de plus sonore, de plus ennuyeux… Nous ne nous doutions guère alors qu’il y avait là un grand orateur en graine, un député, un ministre, un dictateur et que de cette cervelle en désordre… jaillirait un jour une parole puissante qui semblerait à quelques-uns le souffle même de la Patrie…"

Alphonse Daudet.

Deux ans plus tard, il rencontre Gambetta qui vient vers lui la main tendue et lui dit que tout devait s’oublier, que chacun avait été mis hors de soi-même par les événements. Alphonse Daudet, pris de remords, a fait modifier les Lettres à un absent, qui sont devenues les Contes du Lundi, avec trois nouvelles en moins… trois chefs d’œuvre…

Juliette Adam

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Juliette Adam.

Gambetta aura une égérie en la personne de Juliette Adam, qui avait créé en 1879 La Nouvelle Revue. Son salon du boulevard Malesherbes, essentiellement politique, s’était ouvert après 1870. Elle est, pendant toute une époque, le personnage le plus en vue du monde républicain. Mais son salon deviendra peu à peu également littéraire et elle publiera dans sa revue, sous forme de feuilleton, des romans nouveaux qu’elle fait ainsi découvrir. On peut dire que la revue de Madame Juliette Adam eut un grand impact sur l’histoire des lettres françaises de 1879 à 1890. Presque tous les hommes de lettres de ce temps, tels Pierre Loti et Paul Bourget, lui doivent leurs débuts. Elle était très liée avec George Sand et Alphonse Daudet. Daudet et Gambetta faisaient partie de ces réunions qui rassemblaient une centaine de personnes. C’est chez elle que Gambetta formera, avec Jules Ferry, le noyau de l’opposition. Dans ses mémoires, Madame Julia Daudet, épouse d’Alphonse, se souvient d’une femme d’une grande dignité, avec un sourire radieux, de longs cheveux lustrés jusqu’à la taille, une grande assurance mais adoucie par le charme de sa physionomie et un teint éblouissant d’éclat, penchée sur Gambetta pour le conseiller à une table de jeu.

Madame Julia Daudet a gardé en mémoire le 13 novembre 1880 où Gambetta et Daudet se rencontrent précisément chez Madame Adam. Comme toujours, Gambetta est entouré par tous, hommes et femmes. Bien des hommes de lettres fort en renom s’étaient plaint de l’étourdissant succès de Gambetta : partout où il paraissait, on ne voyait plus que lui.

Il semble à point pour la défaite.

Alphonse, ce jour-là, l’assimile" aux effigies méridionales peintes au soleil, mais à contrejour… sa première fougue française partie … il semble replié sur sa gloire de boa repus… il est placide et rose, les cheveux très blanchissants, plaqués aux tempes… il semble à point pour la défaite."
Gambetta meurt deux ans plus tard dans sa maison de Ville d’Avray.
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Alphonse Daudet.

Fidèle dans ses amitiés, Alphonse Daudet n’a jamais oublié cet ami dont les engagements politiques l’avaient un temps éloigné, mais qu’il admirait et estimait sincèrement, ainsi qu’en témoigne cette dernière citation :

"Ce parleur terrible, ce grand gasconnant n’était pas gascon… Parlant souvent, parlant toujours, il ne se laissait pas emporter dans le tourbillon de sa parole ; très enthousiaste, il savait d’avance le point précis où son enthousiasme devait s’arrêter, et pour tout exprimer d’un mot, c’est à peu près le seul grand parleur à ma connaissance, qui ne fut pas en même temps un détestable prometteur."

Quel éloge servirait mieux la mémoire d’un homme politique ?

Mireille Pédaugé


Article mis en ligne en 2010 par Mr Antoine Seck, collaborateur à La Ville des Gens. Actualisé en janvier 2014.

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