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Petits gars pas tranquilles à Belleville

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De Cartouche aux Postiches


En parodiant une chanson de Brassens, on pourrait dire que nous aussi, au village de Belleville, on a eu de beaux malfrats. La chronique a en effet enregistré, du début du XVIIIe siècle aux années 1980, les activités ou le passage de trois bandes célèbres de bandits sur le territoire bellevillois : Cartouche, Bonnot et les Postiches… Oui, et alors ? Sont-ce bien des pages d’histoire à glorifier ?

A magnifier, sans doute pas mais, que voulez vous ? Chez nous, comme ailleurs, il faut de tout pour faire le monde ô combien imparfait où nous vivons. Ou pour le défaire, ajoutait avec malice le poète-philosophe Jacques Prévert. Donc, voici.


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Louis Dominique Garthauszien, dit Cartouche.

C’est un trait certainement lamentable des Français mais, chaque fois que des bandits tournent en bourriques nos chers agents de police, ils leurs trouvent volontiers un côté sympathique même, hélas ! quand les hors-la-loi s’avèrent de fieffés criminels.

Tel était le cas de Louis Dominique Garthauszien, dit Cartouche. Colportées par des bateleurs sur toutes les places de France, une foule d’images d’Épinal ont autrefois mué en légende populaire ses funestes aventures. Jean-Paul Belmondo lui a prêté sa gueule de charme à l’écran. Le sire réel, des plus douteux, n’en méritait pas tant. Le 14 octobre 1721, au terme d’une série de vols, de violences et d’assassinats parfaitement crapuleux, il fut arrêté avec trois de ses acolytes au cabaret du Pistolet, qui se tenait au 45, rue des Couronnes. Ou bien un peu plus bas dans la Courtille de Belleville, au lieu dit la Haute-Borne, c’est selon les sources. De toute façon, rien, en dehors de la nature criminelle de ses activités, n’est très sûr en ce qui concerne Cartouche. On pense néanmoins qu’il serait né (en 1693) au pied de la côte bellevilloise. Son père aurait tenu un estaminet au coin de nos rues Oberkampf et de la Folie-Méricourt. Entre deux campagnes de méfaits, le fils venait souvent reprendre l’air de ses terres natales, disent les rapports de gendarmerie.

Louis Dominique n’était pas un bandit d’honneur, au contraire de son quasi-contemporain Mandrin. Ce dernier détroussait les percepteurs de l’impôt sur le sel, la gabelle, et reversait une grande partie de son butin aux paysans dépouillés par la rapacité du fisc royal. Cartouche, pour sa part, était utilisé par la police du régent Philippe pour l’exécution de basses œuvres. C’est du moins ce que plusieurs historiens croient pouvoir établir. Sur ce, passons à la suite en grimpant sur le haut de nos collines.

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Des "Bonnot" rue Fessart
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Jules Bonnot en 1909.

Le sang a aussi marqué les "exploits" non moins illustres de la bande à Bonnot en 1911 et 1912. Toutefois, les membres de cette association n’étaient pas vraiment des bandits. Pas au sens courant du mot, en tout cas. Il s’agissait de personnages idéalistes un peu paumés, révoltés contre l’ordre social et qui, au nom d’une interprétation particulière de la doctrine anarchiste, entendaient mordre la société bourgeoise à son talon d’Achille, le fric.

A vrai dire, leur rapport à Belleville est assez réduit. Il tient à l’adresse du 25, rue Fessart, où se trouvait le bureau d’édition d’un journal libertaire intitulé avec à-propos L’Anarchie. Il était installé au domicile de son directeur, Kibaltchiche, qui, plus tard, se ferait bien davantage connaître sous le nom de Victor Serge. Peu de temps avant de commettre le célèbre hold-up en voiture de la rue Ordener, plusieurs des "Bonnot", encore collaborateurs du canard, participaient aux discussions rédactionnelles. Deux d’entre eux, traqués par la police, trouveront un court temps refuge rue Fessart. Kibaltchiche, bien qu’il eût désapprouvé les voies de fait de ses anciens compagnons de lutte politique, leur prodigua en effet sa solidarité face à la répression. Pour cela, il fut suspecté de complicité, arrêté chez lui en janvier 1912 et détenu en prison jusqu’en 1917. Mais abrégeons le récit car Anne Steiner l’a déjà fait en détail dans un article de Quartiers Libres n° 68-69.



Capitaine Omar, Porthos et compagnie

Avec les "Postiches", nous arrivons à l’histoire contemporaine et dans le Belleville de la mi-pente, entre les rues du vieux village que parcoururent les Bonnot et la basse Courtille que hanta Cartouche. Bien qu’elle ait défrayé la chronique de la France mittérandienne des premières années 1980, l’épopée de ces hors-la-loi est un peu oubliée aujourd’hui. Il y avait aussi un aspect Mandrin chez ces hors-la-loi.Un témoin a relaté qu’un jour, sollicité par un clochard, le Postiche surnommé Beau Sourire s’est illico fendu d’une "brique", évidemment prélevée sur le produit de la mise à sac d’une banque. André déclarera à son procès qu’il s’est fait voleur-braqueur pour"chasser la pauvreté qui colle à la peau toute la vie". Et Mohammed dira : "On ne fait pas ça pour de l’argent mais par dégoût." De telles affirmations les rapprochent aussi des "bandits tragiques" de Jules Bonnot. Les Postiches n’étaient certainement pas des anarchistes bien que, dans leur adolescence, déjà délinquante, les plus jeunes d’entre eux eussent croisé des éducateurs libertaires. Bruno, encore en âge scolaire, Mohammed et André, ses aînés, se sont jetés à corps perdu dans la pagaille euphorique de mai 1968, fraternisant avec les ouvriers en grève et les étudiants barricadiers. André confessera que, le mouvement éteint, lui et ses copains se "sont retrouvés dans une solitude totale. Tous les gens avaient regagné leurs postes… J’ai toujours recherché par la suite cette fraternité de 1968".

Indéniablement, une part de jeu s’exprima dans la saga des Postiches et en même temps l’insolence juvénile, le goût de tourner en dérision les valeurs de la société nantie comme ceux qui sont chargés de les défendre. Les méthodes de pillage de banque que le "gang" a mises au point - et depuis lors reproduites mécaniquement par de multiples tâcherons du hold-up - n’étaient pas chez eux simple technique mais encore style.

Pourquoi cette appellation de Postiches ? Parce qu’André, Bruno, Jean-Claude, Patrick, Robert et les autres opéraient le visage caché derrière des masques de Charlot et de Georges Marchais. Ils portaient des faux nez, des perruques, des paires de lunettes aux verres teintés, des habits loufoques et bien d’autres articles de travestissement carnavalesque. Ils parlaient d’étranges sabirs, dont un yiddish truqué, et s’interpellaient par des sobriquets (capitaine Omar, Porthos, Schubert…) improbables. Ils signaient tous leurs casses bancaires d’un savoir-faire simple et efficace. Selon l’importance de l’agence, une ou deux voitures et de six à huit personnes composent l’expédition. Trois d’entre elles, les"guerriers", braquent avec pistolet et mitraillette les employés ainsi que les clients, en commençant la plupart du temps par prendre l’un d’eux en otage, et font mettre avec énergie tout le monde à plat ventre sur le sol. Deux autres membres de la bande, les"ouvriers", foncent vers la salle des coffres.

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Là, foin de dentelle, concerto grosso pour burin, pied-de-biche et pince-monseigneur. Les coffres sont percés à la hussarde, prestement vidés de leur contenu, et tout ce qui n’intéresse pas les casseurs est jeté en vrac dans la travée, bientôt transformée en capharnaüm. La bande prend ensuite la poudre d’escampette en n’oubliant pas d’emporter la cassette des caméras de surveillance. L’ensemble exécuté à toute allure. A chaque coup, c’est le même rituel mais les masques, les grimages, les vêtements, les parlers contrefaits, s’échangent d’un complice à l’autre. Tout un art de brouiller les repères d’identification encore renforcé par la dépose de faux indices pour égarer les limiers de la police. Du travail de pros…


Une audace provocatrice

En effet, les membres de la troupe n’en étaient pas à leur coup d’essai quand, en 1981, ils lancèrent une nouvelle phase de leurs aventures. Pendant quatre ans, les compères multiplieront impunément les hold-up à Paris et en banlieue. Une trentaine, souvent menés avec une audace suprême. L’opération du 17 novembre 1983, au Crédit du Nord de la rue Clément-Marot (Paris 7e ), frappe particulièrement les esprits : une heure entière passée dans les locaux de l’agence pour percer 112 coffres (700 000 francs de butin), et ce alors qu’un commissariat de police se tient à seulement 20 mètres de là ! L’affaire suscitera des articles de presse sarcastiques et, à la direction de la brigade antigang, ridiculisée, des têtes de chefs de service tomberont. Pendant ces émois étatiques, les bandits, comme ils le font toujours entre chaque vague de casses, se séparent et se dispersent sous les cocotiers de lointaines plages océaniennes ou à New York.

Mais si le brave Pandore est lent, il est aussi obstiné. Privée de toute piste sérieuse jusqu’en 1985, la police découvre enfin cette année là une planque des Postiches, presque par hasard. Sur ce, les braqueurs grimés commettent une prouesse de trop : fusillade, mort de Bruno et d’un policier. Un casseur est capturé. Cavale pour les autres en Italie, emprisonnement sur place de l’un d’eux, évasion spectaculaire par hélicoptère, re-cavale en France et fin ultime de partie dans une villa de banlieue parisienne, à Yerres. Puis procès et prison. L’un des Postiches y séjournait encore en 1998.

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Gosses de nos quartiers

L’agence de la Banque populaire du 5, rue de Crimée, à la place des Fêtes, constitua l’un des tests de rodage des Postiches. Si l’on peut parler ainsi, cette mise en train à Belleville apparaît normale puisque quatre membres du noyau dur de la bande étaient originaires de notre butte. Des lecteurs autochtones de Quartiers libres ont peut-être connu André sur les bancs de l’école communale du 67, avenue Simon-Bolivar vers 1960, ou bien Bruno sur ceux de l’établissement du boulevard de Belleville autour de 1968 ? Allez savoir s’ils n’ont pas joué avec André sur les trottoirs de la rue de l’Atlas, où il habitait, ou bien avec Jean Claude dans les venelles de Ménilmontant. Avec Mohammed aussi…

Fils de prolos, situations familiales difficiles…, on connaît la musique des gosses laissés à eux-mêmes dans les cités populeuses et déshéritées. Et qui tournent mal. Ces quatre poulbots de Belleville n’étaient pourtant pas foncièrement de méchants gars. De "sales gamins", peut-être, mais pas le genre des crapules qui agressent les personnes âgées. Ils sont devenus des voyous, sans doute, mais pas des tueurs ni des apôtres de la violence. A leur procès, ils expliqueront que leur mode de braquage était précisément étudié pour réduire au minimum la violence et surtout afin d’éviter de faire feu des armes. Plusieurs témoins ont rapporté leur grande générosité, fût-ce avec l’argent qui ne leur appartenait pas. Ainsi va le monde.


Maxime BRAQUET


Article mis en ligne en 2010 par Mr Antoine Seck, collaborateur à La Ville des Gens. Actualisé en décembre 2014.

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