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Récit historique

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Des vacances impériales…


Biarritz
le 3 juillet 1861

Mon très cher et bon cousin,

Votre inquiétude était donc si vive, cher cousin, que vous m’aviez déconseillé, et avec quelle insistance, de suivre la Cour dans ses déplacements ? J’avais omis, il est vrai, de vous informer que notre séjour à Biarritz était dû à notre action en faveur d’une œuvre de charité destinée à la construction d’un foyer pour accueillir des lorettes repenties.

L’hiver dernier, Monsieur le Chanoine, silencieux et songeur, présidait l’une de
nos réunions hebdomadaires à l’ouvroir, quand soudain, il prit la parole et nous pressa de participer à la vente de charité organisée par les Sœurs de la Miséricorde, déterminées à loger des filles sans vertu. Il nous exhorta à nous investir dans la vente des billets de tombola émis par ces bonnes religieuses. Après avoir recueilli notre assentiment, la nouvelle directrice, Mademoiselle Mitaine, s’engagea à satisfaire la requête du brave ecclésiastique. Le premier lot était un voyage à Biarritz, avec la possibilité d’entrevoir leurs Majestés prenant des bains de mer.

Nous n’avons pas la vanité de croire que pratiquer la charité reste notre privilège. Mais au cours de nos visites chez les plus grands dames patronnesses de la capitale, nous avons pu mesurer l’étendue de leur générosité. Imaginez que ces belles âmes doucereuses et sournoises, ces fielleuses pies-grièches se vantent d’être plus charitables que nous ! Vous tenir plus longtemps dans l’ignorance de la sécheresse de cœur de ces personnes et de leur façon de recevoir quand vous pénétrez dans l’intimité de leurs salons, serait vous faire offense. Il s’échappe de leurs appartements des relents de ragots que même les domestiques n’oseraient colporter. Vous ne pouvez imaginer les sourires narquois et les moues désapprobatrices auxquels nous nous sommes heurtées. Et leur regards ? Des yeux luisants d’ironie sous des paupières mi-closes. Croyez-vous qu’elles aient consenti à nous écouter ? Que nenni ! Elles ont seulement laissé filtrer de leurs bouches perfides : « Mes pauvres chères, pourquoi vous commettre avec ces gueuses et leur progéniture ? »

Vous n’avez pas oublié, je pense, qui est JACQUOT II.

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Dessin de Victor Hugo (Bibliothèque Nationale).

A force d’essuyer des refus polis, mais ennuyés, nous nous sommes lassées et nous avons fini par acheter les billets que nous devions vendre. Et bien nous en a pris car, de ce fait, nous avons gagné tous les lots ! Voilà pourquoi je vous écris de cette bourgade chère à leurs Majestés et Dieu seul sait pourquoi. Même Jacquot refuserait de demeurer dans un tel endroit. Vous n’avez pas oublié, je pense, qui est JACQUOT II. Mon nouveau perroquet, plumage terne et bec mobile, s’agite autant et même beaucoup plus que mon premier perroquet. Ce petit volatile bavard et hargneux se hausse sur ses courtes pattes pour ne pas perdre un pouce de sa taille, se démène sur son perchoir sans bouger d’un iota mais en faisant du bruit pour que l’on sache qu’il existe. Ce caractériel a fini même par écœurer sa perruche et l’a poussée à le fuir pour échapper à sa domination. Car il a le goût du pouvoir ! D’ailleurs ce n’est pas tant la plage qui l’épouvanterait que le côtoiement d’autres volailles tout aussi ambitieuses et plus futées que lui.

Cela me ramène au but de notre voyage, apercevoir la mer et surprendre leurs Majestés libérées des contraintes de la Cour. Pour nous mettre à l ’aise, M. le Chanoine nous invite à ôter nos chaussures, lui-même donnant l’exemple, nous le regardons patauger dans une mare que le jusant a délaissée. M. le Chanoine a les pieds épais, il les enfonce avec délice dans le sable mouillé. Il se baisse et ramasse un coquillage qu ’il tend pour l’honorer à la vicomtesse Pré Joyeux de Monceau-Courcelles. Celle-ci pousse un cri et s’exclame : « Oh ! que c’est gluant ! » et laisse retomber l’ormeau que l ’on appelle aussi oreille de Vénus.

Leurs Majestés ont voyagé dans le célèbre et luxueux train impérial offert à l’empereur et à l’Impératrice par la Compagnie de l’Est. rapporte la baronne de Guerlace qui a ses entrées à la Cour. Ils iront s’installer à la villa Eugénie, poursuit-elle. Trop près de la mer ! déplore Mérimée qui n’apprécie guère le séjour : « Le temps se passe ici comme dans toutes les résidences impériales,
à ne rien faire en attendant qu’on fasse quelque chose ». [1].

Déjà la mer remonte et de l’autre côté de la palissade ceinturant la villa Eugénie, des bruits se font entendre, les soupirs s’étouffent, les rires fusent. les étoffes bruissent, des cabines montées sur roues descendent vers la mer tirées par des chevaux que conduisent des domestiques costumés en garçons de bains. L’on perçoit les aboiements d’un chien, un molosse aux bons yeux « plus gros qu’un âne » poursuit Mérimée. Sa Majesté a acheté ce berger des Pyrénées pour égayer ses loisirs, ce qui enrage l’Impératrice dont le caractère difficile s’accommode mal de la présence du chien. Pour apaiser les nerfs de son impériale épouse, l’empereur lui a fait donner la sérénade à l’espagnole et Mademoiselle de Montijo ferme ses beaux yeux sur les nuits de Grenade, sa ville natale, à l’époque où, jeune fille, elle rêvait d’un fabuleux destin.

Les mauvaises langues l’ont surnommée « Grenadine » car elle rougit très fort quand elle est en colère, ce qui se produit fréquemment. Je dois à la vérité de préciser que nous tenons ces anecdotes de la férocité de la Vicomtesse Pré Joyeux de Courcelles-Monceau. Elle est intarissable lorsqu ’il s’agit des potins de la Cour. On chuchote même que cette jolie femme aurait eu des complaisances pour notre souverain du temps où il n’était encore que Prince-Président. Après son mariage, Louis-Napoléon s’est montré reconnaissant et a élevé sa chère vicomtesse au rang de dame d’honneur de l’Impératrice.

« Avez-vous du fluide ? »
Telle est la question du jour à la Villa Eugénie, s’est répandue une étrange épidémie de spiritualisme, un extravagant engouement pour les tables tournantes. Le dénommé Douglas Hume médium écossais au fluide ahurissant - aussi ne lui pose-t-on jamais la question - est devenu la coqueluche de la capitale et consécration suprême, le médium est invité à se produire devant l’Impératrice. [2]

Cher et tendre cousin, à la fin de la semaine nous serons de retour à Paris.
Peut-être y trouverai-je un billet écrit de votre main ? Conservez votre belle santé, poursuivez vos chevauchées nocturnes, mais prenez garde aux bois de Malbuisson, ils sont malsains même pour un bretteur chevronné comme vous.

Mille tendresses à Marie-Odyle et pour vous, cher cousin, oserais-je le dire, mes plus tendres pensées.

Votre très affectionnée cousine.


Denise FRANCOIS



Carhaix,
le 10 août 1861

Ma très chère et douce cousine

Quelle virtuosité ! Je vous savais suivre la Cour, mais je vous croyais à Plombières lorsque j’appris que le séjour de leurs Majestés les conduisait à Vichy… et maintenant Biarritz !

Vous m’étourdissez !
Et je sens aussi que vous êtes vous-même tout autant étourdie qu ’au sortir d’une de ces valses diaboliques, mazurkas, galops et autres quadrilles de notre bon Monsieur Strauss [3] ou de Monsieur Waldteufel dont retentit en permanence la villa Eugénie.

Oui vous m’étourdissez car vous vous engagez dans un tourbillon de justifications caritatives, qui sont autant de prétextes à vos excursions mondaines et à vos promenades halieutiques les pieds dans l’eau.

Je conçois fort bien que votre vicomtesse Pré Joyeux de Monceau-Courcelles puisse faire la dégoûtée face à la gluance d’une oreille de Vénus quand je pense que sur nos côtes bretonnes certains même vont jusqu’à les manger… Je préfère penser à la trace laissée par vos pieds délicats sur le sable humide avant que la marée ne la recouvre. Vous continuez aussi à m’étourdir avec vos séances de spiritisme…


Mais cela va être à mon tour de vous étourdir des dernières aventures de notre déplorable cousine. Oui, vous m’avez deviné, je vais encore une fois vous parler des frasques d’Alice. Vous avez certainement été prévenue, avant votre départ pour Biarritz, que notre chère et vénérée cousine nous avait dotés d’une petite cousine aussi braillarde que laide. Comme il est de notoriété publique qu ’elle a toujours, depuis son hyménée, refusé la porte de sa chambre à son brave Léon de mari, la société s’interrogeait. J’ose même dire qu’à mon cercle des rires francs et même parfois gras avaient succédé aux regards obliques et aux sous-entendus.

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Dessin Victor Hugo.

Et notre brave Léon dans tout cela… Je dois dire que son infortune a fait de lui un autre homme, virevoltant, joyeux, jouisseur même oserai-je dire. Les regards que lui porte la gent féminine sont explicites. Notre Léon, de par cette ninfortune causée par celle dont tout le monde se gaussait, a acquis une sorte d’aura… bref, sans le vouloir vraiment il s’est révélé séducteur, les cornes lui vont bien, il les arbore avec magnificence, comme un cerf au sortir du printemps.

Mais revenons au rejeton. On se perd en conjectures pour savoir qui est le père. Mais qui donc aurait pu être assez aveugle pour se jeter sur cette punaise d’Alice ? De qui a-t-elle porté le coupable fruit ? Figurez vous que, je ne sais d’ailleurs d’où il est venu, le bruit a couru ces dernières semaines que le dit suborneur aurait été un capitaine marchand mort en mer, version qui a dérivé bientôt vers le fils d’un riche armateur enrôlé comme subrécargue sur un navire paternel et qui ne serait jamais revenu.


Votre écossais de Hume a eu ici des émules. Si les tables tournent à Biarritz, à Quimper les guéridons dansent la gavotte pour ne pas dire qu’ils sont atteints de la danse de Saint Guy. Il n’y a pas un thé, un ouvroir où l’on ne cherche à rappeler l’âme du défunt père pour qu’il raconte son histoire. En visite chez Madame de Kermarc’h dont c’était le jour, j’ai vite battu en retraite quand on m’a demandé de prendre place autour du guéridon infernal ! Et Léon là dedans ? Eh bien ma chère, il est devenu la coqueluche de notre préfecture, il écoute avec un intérêt (que je lui crois totalement feint) les rapports de ces dames au sortir de leurs séances, et va ensuite leur demander quelques précisions… En privé !

Elle a trouvé la perle rare : la fille est muette !

Quant à Alice, plate et sèche comme vous la connaissez, elle est allé chercher une nourrice dans la plus arriérée des cours de ferme, et elle a trouvé la perle rare : la fille est muette ! Rassurez vous toutefois, notre cousine a encore du bien, elle ne sera donc pas à la rue et vous-même, comme les Sœurs de la Miséricorde n’aurez à la secourir, comme une vulgaire lorette.


Je garde le meilleur pour la fin, un billet porté par la nourrice muette m’a fait savoir qu ’Alice nous voulait comme parrain et marraine du rejeton… Comme il se doit elle portera le doux nom de Denise, celui de sa marraine comme il est de coutume dans nos familles. Nous aurons ainsi l’occasion de nous retrouver prochainement devant un baptistère, (eusse préféré d’autres circonstances, surtout avec vous dans une église. Votre très affectionné cousin qui n’attend que de vous revoir bientôt.


Pcc Roland GREUZAT


Article mis en ligne en juillet 2014.

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[1Prosper Mérimée à Biarritz, rapporté par André Castelot dans : Napoléon III empereur des Français.

[2André Castelot : Napoléon III et Eugénie à Biarritz.

[3Isaac Strauss, auteur, entre autres, de la Marche Impériale, de la Valse de l’Impératrice et… de la Polka Léontine, n’est en rien apparenté aux Viennois (par contre sa descendance comptera un certain Claude Levi Strauss). On rapporte à son propos qu’un soir de bal de mardi gras plutôt échevelé l’Empereur lui aurait dit : « Vous êtes bien heureux, vous, de pouvoir conduire les français à la baguette »…

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