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- Q.L N° 053 - ÉTÉ 1992
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Les Magasins Généraux sauvés de la démolition ?
Première victoire pour l"association Quai de Seine / Quai de Loire. La mairie de Paris a renoncé à son projet de construire l"Ecole des Seaux Arts à l"emplacement des Magasins Généraux.
15 Novembre 1991 au matin Tous les locataires du 41 bis quai de la Loire découvrent dans leur courrier une circulaire venant de la mairie de Paris. Ils y apprennent que la Ville de Paris a décidé "de mettre fin à toute occupation du bâtiment et de l’évacuer aussi vite que possible." Le prétexte invoqué est pour le moins original. La sécurité des lieux n’est pas assurée, explique la mairie, car les travaux nécessaires pour éviter les risques d’incendie n’ont pas été entrepris. Le bâtiment quai de la Loire est en effet exposé depuis fort longtemps à des risques d’ incendie comparables à ceux qui ont provoqué la destruction complète du bâtiment quai de Seine. C’est la Société Entrepositaire Parisienne (S.E.P.) qui devait faire les travaux de sécurité indispensables. Or cette société n’est autre que l ’ intermédiaire de la mairie, chargé de gérer pour son compte les bâtiments, propriété de la ville. La mairie de Paris reconnaît donc qu’elle n’a pas respecté ses obligations de propriétaire et en prend le prétexte pour déloger les habitants en mettant fin à leurs baux !
Qu’il ne s’agit là que d’un prétexte paraît d’autant plus évident que Jacques Chirac a annoncé au mois de mars 1992 son intention de construire l’Ecole des Beaux Arts à l’emplacement des Magasins Généraux.
Mobilisation générale, les locataires ont décidé d’agir et de ne pas se laisser déposséder par les bulldozers de la mairie.
Le 20 novembre 1991, 18h, c’est l’Assemblée Générale des locataires du 41 bis quai de la Loire. Les 45 ateliers sont représentés. On n’y apprend que les manœuvres de la ville sont déjà engagées et que plusieurs membres du bureau de l’association ont été contactés par les responsables de la gestion du domaine, dans le but d’entamer des négociations. Pas question de se laisser intimider. La réponse des locataires sera une lettre sans ambiguïté, adressée directement au maire de Paris, Jacques Chirac.
25 novembre 1991. La proposition de Jacques Chirac de construire l’Ecole des Beaux-Arts à l’emplacement des Magasin Généraux passe au Conseil de Paris. Sous les yeux d’une délégation de locataires venus sur place pour assister à la décision qui allait régler leur sort, le conseil municipal adopte la proposition. Une consultation d’architecture est immédiatement engagée. Ces résultats sont attendus pour le 26 février 1992.
6 décembre 1991 au matin. Second courrier découvert dans les boîtes à lettres des locataires du 41 bis quai de la Loire Il s’agit d’un envoi de la Sagi. C’est un dossier à compléter et à retourner à la société. Dossier qui une fois rempli par l’ensemble des locataires permettra à la Sagi de procéder en bonne ordre à leur expulsion.
13 Décembre 1991. Nouvelle Assemblée Générale. La réponse est nette, une lettre signée par tous les locataires explique leur refus de donner une suite à ce questionnaire.
Réponse unanime, mais l’inquétude commence à naître. Combien de temps va-t-il falloir résister ? Et dans quelles conditions ? Les flammes avaient épargné ce bâtiment lors de l’ incendie du 10 Février 1990. Et maintenant, va-t-il réellement tomber sous les bulldozers de Jacques Chirac ?
14 janvier 1992. Une délégation des locataires est reçue à la mairie par M. Lafouge, délégué général au Logement. Ce dernier explique clairement aux locataires que son but est d’évacuer les lieux aussi vite que possible.
15 février 1992. Première bonne nouvelle depuis longtemps. Le ministère de la Culture notifie à la municipalité parisienne sa volonté de classer le pont de Crimée. Victoire pour l’association des locataires qui avait soutenu Roger Madec, Conseiller de Paris, dans sa demande de faire classer le pont ainsi que le bâtiment restant.
Jack Lang n’a pas voulu protéger le bâtiment restant mais seulement le pont et la passerelle. L’instance de classement du pont n’est pas toutefois innocent, car dans un rayon de 500 mètres autour d’un édifice classé, on ne peut construire sans l’aval des Monuments Historiques.
26 février 1992. Le jury propose une présélection de trois projets d’architecture pour la nouvelle Ecole, parmi lesquelles Jacques Chirac devra désigner un lauréat. Il s’agit des projets de Henri Gaudin, Christian de Portzamparc et Patrick Berger. Mais depuis plusieurs semaines déjà circule la rumeur persistante que l’Ecole des Beaux Arts ne serait pas forcément construite à l’emplacement prévu.
4 mars 1992. Dans une dépêche de l’AFP, Jacques Chirac annonce que l’école sera édifiée ailleurs, probablement à Bercy. Pour l’association Quai de Seine / Quai de Loire, il s’agit là d’une première victoire. Il a été très difficile de lutter contre le projet de l’Ecole. "Nous ne sommes pas contre une Ecole des Beaux-Arts, mais pourquoi à l’emplacement de nos ateliers et en détruisant un bâtiment qui fait parti du patrimoine", explique Didier Boutel, photographe et président de l’Association pour le maintien de la création sur le bassin de la Villette (AMCV). Cette association a été créée par les locataires du 41 bis dans le but précis de défendre les intérêts du bâtiment restant. C’est d’ailleurs lors de la dernière Assemblée Générale et avant même de connaître le volte-face de la Mairie que les locataires ont décidé de s’occuper eux-mêmes de la mise en conformité du bâtiment qu’ils occupent. Une expertise aux frais des locataires a été lancée pour définir dans un premier temps la nature exacte des travaux à mettre en œuvre. Va se poser par la suite le problème du financement de tels travaux qui sont normalement à la charge du propriétaire.
BW
Le 10 Février 1990, un immeuble de quatre étages, d’une superficie de 10 000 m2 a été détruit dons son intégralité par un incendie. Le feu a pris à 13h30, entre le faux-plafond du 2ème étage et le plancher du 3ème étage. Le feu a été activé par la circulation d’air à l’intérieur de ce volume et s’y est développé à l’abri des regards, rendant ainsi la découverte du foyer très difficile. Les pompiers ont été prévenus avec difficulté (règle première du futur sinistré : avoir le numéro de téléphone de la caserne de pompiers la plus proche et surtout ne pas téléphoner ou 17 : ça ne marche pas !)
Les pompiers n’étaient, semble·t-il, pas très bien renseignés sur la situation du bâtiment. Peut-être pensaient-ils devoir sauver du feu un vieux bâtiment occupé par une brochette de squatters…, alors qu’en fait ce bâtiment abritait 267 locataires, professionnels de l’art et de la création, peintres, architectes, photographes, etc. beaucoup d’entre eux étant connus et reconnus au-delà des frontières… Une heure après les premières fumées, le feu avait alors pris une importance considérable. Les renforts sont alors arrivés de partout. Il était déjà trop tard. Les planchers s’écroulaient, rendant le travail des pompiers extrêmement dangereux. Il a alors été décidé de laisser brûler le bâtiment… Celui-ci a brûlé pendant dix heures. Les locataires du bâtiment se sont constitués en association le lundi suivant. Le mardi, sans avoir rien demandé, ils ont reçu la visite de deux haut-fonctionnaires, Mrs Rabut et Rivron, respectivement chef du cabinet du Maire de Paris et élu au conseil municipal chargé des affaires culturelles. Ceux-ci se sont engagés à :
- Reconstruire le bâtiment à l’identique- Y reloger les sinistrés.
Dans la détresse où étaient les sinistrés, la réalité de ces promesses ne pouvait être mise en doute. Ceux qui demandaient une confirmation écrite à ces belles paroles n’ont pas été entendus…
Les sinistrés ont eu ensuite tout le temps de regretter cette confiance aveugle : une dizaine de peintres ont été (mal) relogés par la Ville et aucune indemnité ni aide n’ont été versées…
Quand il a été clair que ces promesses ne seraient pas suivies d’effets, l’Association Quai de Seine / Quai de Loire, regroupant les occupants des deux bâtiments fit désigner un expert par les tribunaux. Ce rapport, sous la forme de deux épais volumes totalisant 800 pages, dresse un tableau précis de l’évolution du bâtiment depuis 1977 et montre la responsabilité de la ville et du concessionnaire - la SEP - sinon sur la cause de l’incendie (tout ayant brûlé, il a été difficile de déterminer avec certitude l’origine du foyer), mais en ce qui concerne la rapidité de la propagation du feu.
L’expert expose que le feu est donc né entre le faux plafond du 2ème étage et le plancher du 3ème étage… La cause du caractère total de l’incendie est à rechercher dans l’absence ou la déficience des éléments de sécurité au feu qui équipaient l’immeuble.
A la question posée à l’expert, sur le point de savoir si, dons le cas où les recommandations des commissions de sécurité avaient été respectées, l’incendie eût pu avoir de telles conséquences, il est fait cette réponse :
« Si les dispositions correctes avaient été réalisées par un recoupement efficace des volumes internes du bâtiment, l’extension de l’incendie n’eût pas dû, compte-tenu de la rapidité de l’intervention des pompiers, s’étendre ou-delà du seul volume concerné par le départ du feu. »
Il est donc établi qu’un recoupement des volumes, en particulier le compartimentage de ces faux-plafonds, ainsi que des planchers coupe-feu et des trappes de désenfumages auraient permis d’éviter cette catastrophe coûteuse : l’expert a examiné 60 dossiers de préjudice, et retenu une valeur minimale de 160 millions de francs, hors la reconstruction du bâtiment ! On est bien loin d’une occupation illégale d’un bâtiment par quelques squatters…
Une longue plinthe parcourait déjà les locaux désaffectionnés des magasins quasi-généraux.
Plinthe d’un condamné au pied du mur !
Dans une dernière poussée de sève besogneuse, les vieilles poutres, encore suspendues à un quelconque espoir, révélaient, d’un tronc commun, leurs secrets lourdement chevillés au corps. Bientôt, des haches aux tranchants argentés viendraient couper court aux rumeurs d’une exécution toujours repoussée.
Les escaliers, marches d’un autre siècle, dégringolaient vers un enfer de bois sous les feux d’une rampe toujours solide au jeu des paumes sensibles. Après avoir grimpé vers de hauts lieux comblés de nourriture ; greniers exhalant encore des odeurs marchandes, ils craquaient maintenant de toutes parts et criaient sous le trépas des bourreaux "arborifuges" venus billots en tête.
Même les planches aux lames cernées de fatigue, disjointes, rabotées par des semelles laborieuses, plongeaient désormais leurs racines fugitives dans les tumultes du bassin à la recherche d’une ultime eau-forte ou de quelques sels minéraux bienfaisants. Les marchandises elles-mêmes, entreposées jadis, se paraient d’un deuil révoltant : grains de folie, sucre en poudre, charbon de bois ardent, briques réfractaires, plâtres gâchés, pavés têtes au carré, épices relevés, rhum embouteillé, balles de thé, café corsé, vins en vain, huiles bouillantes… car, il ne faut pas l’oublier, les magasins généraux furent généreux !
Une dernière péniche en vogue, fantôme ancré à la vase, stationnait le long des murs ravalant leur salive amère. Les démonte-charges désaffectés se hissaient une dernière fois et les poulies, couleur de rouille, grinçaient des dents, raclaient des gorges, "entranglant" ainsi les cordes d’une pendaison trop mal venue.
Le Cargo, quant à lui, avait déjà depuis longtemps largués les "y-en-a-marre" : son enseigne lumineuse, néon du non, primée bleue-nuit s’était doucement éteinte dans les eaux profondes de l’oubli.
L’inévitable mue de cet "entrepeau", bâtisse solitaire, écorcé vif depuis la disparition de feu son frère jumeau, sculpte sur ma feuille d’écrits de douloureuses nervures, derniers maillons d’une "chêne" de solidarité inexistante.
Save-me… Sève-moi. Save-me…Sève-moi… save-me… sève-moi…me… moi… m…
Le quartier entend encore aujourd’hui ce cœur de chêne battre contre les flancs d’un bain en quête d’âme.
Dominique Chassaing
Article mis en ligne en juillet 2015.
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