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D’ici et d’ailleurs… De l’Est parisien aux quatres coins du monde

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Place aux tsiganes


Dans le 19ème, à l’angle de la rue des Marchais et du boulevard d’Indochine, une pancarte de bienvenue "Interdit aux nomades" Malgré l’engouement actuel pour la musique tsigane, la ségrégation est permanente contre les habitudes de vie ancestrale de ce peuple, arrivé en France dès 1421 en tant que pèlerins venus de la Petite Égypte. [1] Qui sont-ils exactement ? Qu’ont ils à nous apprendre et à nous faire découvrir à travers leur culture ? Un centre s’est créé depuis 1949 au 2, rue d’Hautpoul, dans le 19e, pour informer tous ceux qui désirent aller à leur rencontre

Le Centre de Documentation des études tsiganes est une association fondée en 1949, après les persécutions nazies envers ce peuple, à l’initiative de sympathisants et de tsiganes - dont Matéo Maximoff (écrivain tsigane) et François de Vaux de Foletier, le premier historien français à s’être penché sur leur histoire.

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Photo : M. Maximoff.

Ce Centre est conçu comme une médiathèque où on peut consulter, emprunter et acheter des ouvrages de poésie, contes, histoires, témoignages, revues, disques, c.d., cassettes de littérature et de musique tsigane de l’Albanie à l’Égypte en passant par l’Espagne et la Roumanie. On compte 12 millions de tsiganes en Europe, dont 500 000 en France : 1/3 sont sédentaires, 1/3 vivent en caravanes, 1/3 se déplacent. Les "gens du voyage" s’intègrent à l’économie des pays qu’ils traversent, et en adoptent les religions.

Ils furent tantôt au service des armées pendant les guerres de religion en France, tantôt éleveurs de chevaux en Hongrie, ou musiciens à la cour des Ottomans, tantôt esclaves en Roumanie où le trafic orchestré par l’Église orthodoxe dura cinq siècles. Ils seront libérés de l’esclavage en 1848 pour retomber plus tard sous les persécutions nazies et les rejets communistes pendant et après la dernière guerre. Trop souvent pourchassé au cours de son histoire, ce peuple sans territoire a pourtant émerveillé l’Europe de la Renaissance et les chroniques regorgent des succès remportés par les troupes de ces "Bohémiens" venus d’ailleurs. [2]

Un peu plus tard, à la cour de Henri IV, "la belle Égyptienne" éblouit par sa danse, son costume bayadère et sa chevelure sombre. L’autre face de la médaille, ce sont les bohémiens assimilés aux larrons et voleurs d’enfants
de la Cour des Miracles.

Étranges, ces gens le sont dans leur mode de vie et leur accoutrement, mais aussi par l’histoire de leur origine. "D’où viens-tu, gitan ? d’Égypte, de Bohème ou d’Inde ?". Avant de faire place, au XIXème siècle à la défiance, le mystère des tsiganes ou "bohémiens" fascine et leur culture, prodigieusement riche, s’épanouit dans la musique. Les violons tsiganes influencent Franz Liszt, envahissent les salons, puis les cafés et les jardins publics.

Le violon dit" à la hongroise" a fait vibrer Mérimée, Baudelaire, Massenet, Edmond Rostand. Le bohémianisme s’installe dans l’art lyrique, avec le flamenco dont la "Carmen" de Bizet sera le summum en 1875.

Tout au long de leur histoire, ce sont de perpétuelles pérégrinations de pays en pays, et d’adorations en malédictions dont la plus terrible fut celle des nazis : à partir des lois de Nuremberg de 1935, la destruction collective des tsiganes du IIIe Reich et de l’Europe est programmée, avec celle des juifs et des métis. [3].

Les gens sont ennemis de ce qu’ils ignorent…

"Les gens sont ennemis de ce qu’ils ignorent" : le proverbe arabe se vérifie tragiquement dans la méconnaissance de cette culture et de cette civilisation du voyage qui a enrichi l’Occident d’un imaginaire fécond chez un grand nombre d’artistes, dont le paquet de "Gitanes" bleu et blanc est un rappel quotidien.

Peuple de nomades avant tout, "gens du voyage", les tsiganes sont les traits d’union entre leur culture et celle des pays qu’ils traversent. Alchimistes hors du commun, ils portent en eux les rythmes des pays rencontrés, s’approprient ceux qu’ils découvrent et les associent aux leurs. Probablement homogène avant leur départ de l’Inde, la langue romani (langue néo-indienne proche du sanscrit) sert de territoire et de lieu identitaire à ce peuple sans terre. Il se partage aujourd’hui, en France, en plusieurs groupes qui se distinguent par leur langue (apparentée au romani), leur mode de vie, leurs habitudes. Les Manouches et les Yéniches ont longtemps vécu en Europe germanique, les Sinti en Italie du nord et en France, les Gitans en Catalogne et en Andalousie et les Roms en Europe centrale et orientale.

Le voyage est un état d’esprit. Les gens du voyage se sentent maîtres de leur destinée, libres, dégagés de toute entrave et enracinement. [4] Ils privilégient les relations humaines à l’accumulation des biens.

Cette manière d’envisager l’existence se traduit dans les thèmes des chansons et les accents de leur musique, fortement imprégnée de nostalgie et d’errance.


Clara Murner


Le monde des Tsiganes, F. de Vaux de Foletier, (Berger-Levrault)
Mille ans d’histoire des Tsiganes, (Fayard)
Les Tsiganes, une destinée européenne, Henriette Asséo, (Découvertes Gallimard)
Sans maison, sans tombe, poèmes de Rajko Djuric (L’Harmattan)
Flamenco, Bernard Leblon, livre et C.D. ·(Cité de la Musique et Actes Sud)
Dans la même collection : Django, Patrick Williams, sortie novembre 1996
Les Tsiganes de Hongrie et leurs musiques, sortie 15 octobre 1996
De Matéo Maximoff : Routes sans roulottes - Ce monde qui n’est pas le mien - Dites le avec des pleurs - Savina - etc.
Revue Hommes et Migrations,
n° spécial Tsiganes- Juin-Juillet 1995.



La poésie tsigane

Tsiganes et poésie sont à jamais emmêlés. Ce peuple qui n’a pas de terre s’est toujours raccroché au "romani", sa langue (avec des variantes dialectales selon les pays). Il demeure ainsi "sans maison et sans tombe". Pas de traces, peu d’écrits, une culture orale ; les morts que l’on brûle ; et, au bout du chemin, l’oppression, le rejet. Cette existence se traduit dans les thèmes des chansons, des musiques, et il est probable que cette errance ait donné de la force à leur talent. Ils ont, au fur et à mesure, emprunté les instruments, les sons, les styles des pays traversés, tout en les intégrant à leur caractère et à leurs goûts. La poésie des tsiganes est au centre de cette diversité, libre de tout passé et de tout bien, mais profondément attachée à la fraternité, au voyage, à un mode de vie unique qui a inspiré peintres et écrivains.

La vie des tsiganes est assurément le premier poème du monde en vers libres.

David Dumortier



Je vous vends mes larmes
Je vous vends mes larmes
S’il est vrai que je suis encore petit
Mon cœur est grand,
S’il est vrai que je suis encore un enfant,
Je souffre comme un adulte.
Les enfants de mon âge s’aiment, s’amusent,
Moi je suis obligé de pleurer.
Et comme je n’ai rien à moi,
Je vous vends mes larmes.
Je regarde les autres enfants autour de moi,
Ils n’ont pas de larmes à vendre,
Sinon celles de la douleur,
Qui tombent par terre,
Et qui disparaissent dans la boue.
Mes larmes je les prends sur mes joues,
Pour les vendre à ceux qui ne savent pas pleurer.
Mais quel prix leur demander ?
Si ce n’est le prix de la consolation.
Si quelqu’un m’aime,
Je ne lui vends pas mes larmes,
Je les lui donne,
Car ce seront des larmes de joie.
Matéo Maximoff
1er février 1983
Tsigane Rom •

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Interdit aux nomades

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Bonjour Monsieur le Maire
il est temps de vous décider
On ne peut plus se taire
finissez de nous rejeter
Et dites à vos administrés
que nous sommes vous le savez
de la même nationalité.
Arrachez vos pancartes
"Interdit aux nomades"
Ces terrains de campeurs
où les gens viennent en été
reçus avec chaleur
mais pourquoi nous sont-ils fermés
Vous nous réservez il est vrai
quand nous voulons nous arrêter
lieu de décharge et bourbier.
En nous voyant vous dites
Ils sont sales et mal habillés
Braves gens je vous invite
dans la boue à venir marcher
De vos yeux vous verrez
notre vie que vous ignorez
Elle n’est pas sans difficultés
Pourtant Monsieur le Maire
quand nos enfants doivent aller
au service militaire
comme par hasard vous les trouvez
Mais lorsqu’il nous faut stationner
sur les places ou près des bosquets
la police vous nous envoyez
Arrachez vos pancartes
"Interdit aux nomades"
Texte d’une chanson de Lik, sinto
(manouche) piémontais, auteur-compositeur interprète.


Django Reinhardt et le Jazz manouche
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Photo : Tronchet.

Son père, Jean-Eugène Weiss, animait une troupe ambulante en jouant du violon, de la guitare, du cymbalum. Sa mère, acrobate et danseuse, Laurence "Négros" Reinhardt mit au monde "Django" le 23 janvier 1910.

Dès l’âge de 9 ans, Django jouait du banjo et de la guitare comme un phénomène.

C’est le temps du musette ! Mais l’adolescent se passionne pour la musique syncopée des années 25. Sur son banjo, il joue en virtuose les airs américains
en vogue.


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Photo : Tronchet.

En 1928, il est atrocement brûlé dans l’incendie de sa roulotte, sa main gauche est partiellement atrophiée. Il entreprend une stupéfiante auto-rééducation et acquière une technique instrumentale particulière, doué d’une telle habileté qu’il semble avoir trouvé dans sa semi-infirmité un moyen de se surpasser. En 1931, à peine remis, il gagne la Côte-d’Azur avec son frère Joseph. Ils jouent ici et là et dorment à la belle étoile.

Ce sera son vrai départ avec d’autres jeunes guitaristes doués. Il allait devenir la coqueluche d’un monde radicalement différent du sien. Mais ceci est le début de sa légende…


D’après un texte d’Alain Antonieito



Le flamenco

JPEG - 169 koC’est dans la première moitié du XIXème siècle que le flamenco fait son apparition. C’est une musique d’un genre nouveau né de la fusion entre le répertoire andalou et les traditions musicales des gitans, qui apparaît tout d’abord en basse Andalousie. On retrouve dans le "jaleo" des gitans d’Andalousie des rythmes vocaux identifiés depuis l’Inde, mais les modalités propres aux gitans sont des chansons lentes (loki dili) comprenant un allongement des vers et une pause caractéristique sur l’avant-dernière syllabe du derniers vers de chaque quatrain. Très différent du chant espagnol, le flamenco est un chant long à l’orientale, brisé par des pauses et des ruptures de mélodie. Il fut très vite adopté par les andalous et les deux communautés n’ont cessé de s’influencer l’une l’autre, même si les deux genres restent distincts et le flamenco gitan plus dramatique et plus pathétique, avec ses tonalités rauques et ses voix brisées.


Clara Murner

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Centre de documentation des Études Tsiganes
(Association loi 1901)

Ses objectifs : rassembler et diffuser les informations concernant les Tsiganes, favoriser l’expression d’une minorité et faire valoir ses droits.
Ses activités : édition de la revue "Études Tsiganes" (bisannuelle) :
Sur l’internement 1939 - 46 :
No 2/95 • L’urbanité en défaut :
No 1/96 • Scolarité, identité, culture (sortie 1/97).

Études tsiganes est à la disposition des écoles et collectivités pour fournir brochures spéciales pour les enfants et mallettes pédagogiques en prêts.
Bibliothèque - photothèque - discothèque - vidéothèque (consultation sur place, vente et service de prêt).

Études Tsiganes 2, rue d’Hautpoul 75019 Paris

Quartiers Libres remercie ici les Études Tsiganes pour leur aide dans la recherche de documentation et d’illustrations.

Quelques films

"Django Reinhardt", Paul Paviot 1958, film en noir et blanc -
hommage à Django, commentaire Yves Montand.
"Les princes", Tony Gatlif 1983
"J’ai même rencontré des tsiganes heureux", Pétrovic 1974
"Le temps des gitans", Emir Kusturica, 1988
"Le cheval venu de la mer", Mikel Newell, 1992
"Latcho drom", Tony Gatlif, 1993

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Article mis en ligne par Mr Antoine Seck, collaborateur à La Ville des Gens. Actualisé en décembre 2013.

Quartiers Libres, le canard de Belleville et du 19ème (1978-2006) numérisé sur le site internet La Ville des Gens depuis 2009.

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La Ville des Gens - Salvatore Ursini

Rédacteur – Chargé des relations avec les publics

Téléphone 01 77 35 80 88 / Fax 01 40 36 81 57

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Consultez nos archives sur :
Quartiers Libres Numérique sur la Ville des Gens

[1Parties de l’Inde, les tribus ROM atteignaient au XIIIe siècle la Petite Égypte en Crète..

[2un manuscrit de 1442 fait état des honneurs accordés à Troyes "au comte Thomas et à sa troupe" venus de la Petite Égypte et de l’autorisation de circuler où bon leur semble. Autre temps, autres mœurs !

[3Dès 1938, en Allemagne, est édictée une loi concernant la "menace tsigane". Dès 1939, et sous l’occupation en France, ils sont internés par les autorités françaises dans une soixantaine de camps, dont ceux de Gurs et Argelès. Le 1er mars 1943 tous les tsiganes d’Allemagne sont arrêtés (environ 22 000) et déportés. Plus de 20 000 meurent à Auschwitz. Le nombre de tsiganes exterminés entre 1943 et 1945 est estimé à 400 000. (Suivant C. Tyrnaver - Gypsies and the Holocaust. A bibliography and introductory Essay-Montreal 1989).

[4Toutefois, si aujourd’hui le martyr des tsiganes n’est plus ignoré, ils restent contraints, en France, de posséder des livrets spéciaux..

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