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- Q.L N° 070-071 - OCTOBRE 1997
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Prendre les eaux à Belleville
À Paris, ce 17 juillet 1865
Ma bien chère cousine,
Que je vous conte, ma bonne, et ce, par le menu, l’histoire curieuse qui est arrivée chez nous, à Belleville. Je la tiens de la veuve Champlain, vous savez celle dont le défunt mari, alors qu’il sortait, selon son habitude, ivre mort d’un estaminet voisin, a eu l’idée saugrenue de se jeter sous les roues d’un corbillard mené bon train par deux chevaux. C’est dire si l’affaire est sérieuse et si je n’affabule point. D’ailleurs, vous me connaissez, je ne possède aucune imagination. Donc pour me résumer, voilà que deux industriels, Messieurs Lapostolet et Certeux, s’établissent au n°10 de la rue Richer [1]. Jusqu’ici, rien à redire. Ce sont de bons voisins, silencieux et aimables, qui pourraient même passer inaperçus tant ils sont discrets. Mais vous connaissez les hommes de science, curieux et fouineurs, toujours en quête d’une nouveauté à découvrir. Et là, je vais vous surprendre. Ces deux hommes, par je ne sais quel égarement, commun à tous les savants, se mettent en tête de procéder à des fouilles dans leur propriété pour y chercher de l’eau ! Aussitôt, les voisins s’alarment. Vont-ils transformer leur sol en autant de taupinières ? Les paris sont ouverts et bientôt, en effet, ils retournent le terrain et lorsqu’on les interroge, avec délicatesse, ils éludent les questions, prennent un air lointain, jusqu’au jour où, miracle, une source jaillit. Une belle eau sulfureuse, aux multiples propriétés, provenant de la terre, cette belle terre nourrie de dépôts organiques accumulés durant des siècles à notre insu, m’a dit Mme Champlain, dans les entrailles de notre sous-sol. Soumise aux autorités médicales notre eau a été déclarée par ces messieurs de la Commission "eau douce, agréable à boire, digeste et efficace dans les affections des bronches" [2] les autorités ont poussé la bonté jusqu’à permettre son exploitation. Ah ! les bonnes autorités.
Mais vous pensez, 140 000 litres d’eau par jour, voilà nos deux industriels bien embarrassés. Ils se mettent en rapport avec ces messieurs de l’hôpital Saint-Louis qui, eux, utilisent des eaux sulfureuses pour le traitement des maladies de peau. Seulement, leurs besoins ne dépassent pas 30 000 litres par jour. Il en reste donc 110 000 litres pour nous autres Bellevillois ! Désormais, gratuitement, chaque jour, nous pouvons tout comme les bourgeois, nous livrer aux bienfaits et aux joies de la cure thermale grâce à la générosité de ces hommes de sdence qui ont eu l’idée de capter la source et d’installer des robinets pour le public à l’extérieur de leur propriété. Comme dit Mme Champlain, quel dommage que cette eau ait surgi de terre à côté de l’abattoir de Belleville et à cinquante mètres de l’usine à gaz !
Il n’en reste pas moins que c’est chez nous, à Belleville, que l’eau a choisi de s’établir et nous en sommes tous très fiers. Je ne me rendrai donc plus à Aix pour y prendre les eaux et je n’aurai donc plus. le souci de vous causer du dérangement. Veillez bien sur vous. Avec un cœur aussi délabré que le vôtre, il faut user de prudence.
Votre aimante cousine.
p.c.c. Denise Francois
PS : Au 10 de la rue de l’Atlas, au fond d’un puits, jaillissait une source d’eau minérale à 10°, sulfatée et calcique, découverte en 1852. On pensa d’abord conduire cette eau, grâce à un aqueduc jusqu’à l’hôpital Saint-Louis pour le soin des maladies cutanées (restées encore aujourd’hui, une spécialité de cet établissement), mais une société acheta la source en 1868 et la refoula jusqu’au 6 ter de la rue, L’eau de l’Atlas où elle créa un établissement Les thermes de Belleville où se débitèrent jusqu’à 350 000 bouteilles par an. La source est aujourd’hui tarie (d’après Jacques Hillairet- in Connaissance du vieux Paris- Club français du livre 1969). Il semble que le sous-sol de Belleville ait été riche en nappes phréatiques, car outre L’eau de l’Atlas, dans le Bas-Belleville, on songe aux regards qui parsèment le Haut-Belleville, et témoignent de la présence encore effective d’un aqueduc acheminant les eaux vers le centre de Paris.
M. B.
Article mis en ligne en janvier 2014.
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[1] Aujourd’hui Rue de l’Atlas.
[2] Cité par Emmanuel Jacomin.