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- Q.L N° 051-052 - NOVEMBRE/DÉCEMBRE 1991
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Récits d’enfance dans le nord-est parisien
Jusqu’à fin novembre se tient au premier étage de la Maison de la Villette une très intéressante exposition : des témoins de l’histoire du nord-est parisien (quartiers de Paris, Aubervilliers, Le Pré-Saint-Gervais) racontent leur enfance à partir de leurs albums de famille et de leurs archives. Photographies, documents originaux, objets, archives sonores illustrent ces récits d’enfance.
e suis entré comme apprenti boucher aux abattoirs de la Villette à l’âge de treize ans. J’étais "agneau" aux moutons. Ils m’ont surnommé Mickey, sobriquet donné vu ma petite taille et mes cheveux très bruns. En 1964, j’ai quitté la Villette où j’étais devenu bœuftier ( … ).
Je me sentais devenir un boucher. J’avais des petites mains, alors le chef il regarde… Alors je lui dis : oui chef, vous êtes plus fort que moi. Mais oui t’as treize ans mais ça viendra mon p’tit, qu’il disait. J’étais heureux, mais je donnais tout ce que je pouvais, des fois je pleurais, il fallait le prendre comme ça.
Max, (jeune garçon au centre) "agneau de l’échaudoir 162" - Abattoir de la Villette, 1932 - Coll. Max Saint-Jean, Maison de la Villette.
Pendant que mon chef égorgeait la bête, je tenais les pattes arrière qui s’agitaient jusqu’au dernier réflexe de vie du mouton. Je recevais des coups de pattes, qui me laissaient des "bleus" sur les bras. Je coupais les pattes arrière à l’endroit des osselets avec un couteau bien effilé dont j ’étais très fier de me servir :je me sentais devenir un boucher.
Toi "l’agneau", tu as droit à une petite pièce ! … Je l’employais pour boire un chocolat chez Madame Eugène, marchande de soupe, chocolat, croissants. Elle me connaissait bien. Puis des fois j’avais pas d’ argent. Elle me disait : t’es un petit gosse, quand tu en auras, tu m’en donneras.
Max
e cherchais du boulot, quand j’étais môme ; je suis allé voir les bêtes, Porte de Pantin. Il y avait des patrons qui disaient : ben… viens, pousse. Quand j ’ai eu seize ans, j’ai été médaillé, des médailles comme les marchands de quatre saisons.
Et puis, je me suis mis dans les bœufs. J’ai fait bouvier du marché à l’abattoir.
Minou le Bouvier
L’avait pas encor’ vingt ans, L’ connaissait pas ses parents, On l’app’lait Toto la Ripette, A la Villette… |
"A la Villette", Aristide Bruant
l y avait la poupée, il y avait le petit landau aussi, enfin il n’y avait pas tellement de jouets à cette époque, c’était assez restreint… C’étaient des jeux plutôt qu’on inventait comme tous les enfants qui inventent des jeux dans la rue… On aimait bien se promener…
Je me souviens quand j’ai fait ma coqueluche, le médecin avait dit à ma mère : il faut l’emmener du côté des usines à gaz parce que c’est un endroit aéré du fait qu’il n’y avait pas beaucoup de circulation, pas beaucoup de voitures… Du fait qu’il y avait ces grosses cuves des usines à gaz, ça faisait un espace peut-être plus aéré et c’était là qu’on m’emmenait promener… C’était une façon comme une autre de changer d’air. Aujourd’hui on dit : il faut faire un tour en avion… Là on m’emmenait promener du côté des usines à gaz !
Ce dont je me souviens, c’est qu’à la sortie de l’école, l’école rue de l’Ourcq, on passait devant chez Félix Potin et là, il y avait des grilles et derrière les grilles il y avait des dames qui faisaient des confitures, qui mettaient des confitures en pots et comme nous on était là à les regarder avec un air admiratif, alors elles trempaient leur doigt dans le pot de confiture, elles passaient la main à travers la grille et il y avait les enfants de l’autre côté qui léchaient le doigt de ces personnes qui nous faisaient manger un peu de confiture… Alors ça, c’était à la sortie de l’école, parce que ça se trouvait sur le chemin entre chez moi et l’école rue de l’Ourcq…
n passait nos journées à chanter des chansons, ces petites chansons qu’on achetait, qui étaient vendues sur les trottoirs, il y avait un accordéoniste et une chanteuse, et puis on vendait après la chanson du jour… Alors on achetait cette chanson-là et puis on se faisait un devoir de l’apprendre par cœur, de la chanter… Et on n’avait pas besoin d’argent… Il n’y avait pas besoin de magnétophone, d’électrophone…
On chantait, on chantait dans la rue en marchant.
Je me souviens par exemple de la chanson des Partisans, (…) quand la guerre a été terminée. (…) tout le monde se jetait sur cette chanson. (…) Toutes les chansons à la mode, évidemment, à la mode de l’époque… Chansons des sœurs Etienne, chansons d’Edith Piaf… Alors au marché, il y avait toujours quelqu’un qui se trouvait là, il y avait au moins un accordéoniste et une chanteuse qui vendaient ces chansons… Alors moi, évidemment, je les ai toutes achetées et je les ai gardées. (…)
Moi, j’étais une fana de Georges Guétary… Alors j ’avais Georges Guétary, toutes les chansons de Georges Guétary, je les achetais, bien sûr, et j ’allais voir les films de Georges Guétary, j’avais la photo de Georges Guétary dans le porte-feuille.
uand on quittait le quartier, on s’en allait plutôt en direction de la porte de Pantin parce que je pense qu’on avait une impression de partir vers la banlieue, alors on s’éloignait un petit peu, mais aller vers le centre de Paris, non…
A la période de la guerre, dans les écoles, (…) ils avaient ramassé certains enfants dont les parents avaient des difficultés, pour les envoyer dans certaines régions de France… Nous, c’était dans la Franche-Comté… Et là, il y avait des familles qui nous recueillaient pendant la période de la guerre… Alors on avait été choisis à plusieurs jeunes de l’école rue de l’Ourcq (…) et on a été très bien accueillis dans ces familles puisque moi aujourd’hui je suis toujours en relation avec elles et je continue à envoyer mes enfants en vacances chez elles.
Il y avait une autorisation pour que les parents viennent nous voir tous les six mois, c’était payé par la Croix-Rouge ou je ne sais plus qui payait le transport. (…)
J’y suis restée un an et demi et puis je suis revenue quand la guerre a été terminée. On nous a rapatriés…
Ah ! ça se situait sur les fortifications qui se trouvaient à peu près où se trouve aujourd’hui le périphérique (…). C’était un terrain, un terrain de verdure, alors les gens, les enfants s’amusaient avec les ballons, il n’y avait rien d’installé, c’était presque une décharge…
On y allait le dimanche, oui, quelquefois le samedi, ça dépendait quand nos parents décidaient de s’y rendre…
On montait seulement le double toit, qui faisait un peu d’ombre, et puis on s’ installait avec le pique-nique dessous… Et ça permettait de rester toute la journée en étant un peu à l’abri du soleil.
Pique-nique aux fortifications, 18 août 1936 - Photo Segry.
Personnel de l’entreprise de soudure autogène Bénegent Frères, Aubervilliers, 1912. Coll. Claude Fath.
Article mis en ligne en juillet 2015.
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