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Salade de fruits à Montreuil

ou
Quand sur les murs à pêches mûrissent
les pommes de la discorde.

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L’habitant de l’Est parisien sait-il qu’un royaume de la gourmandise l’attend à la frontière du village de Charonne ?

Sur des pentes devenues succursales du Jardin du Roy à Versailles, les habitants de Bagnolet et de Montreuil mirent en pratique les principes d’Oliviers de Serres et de La Quintinie, transformant pour trois siècles le plateau de Montreuil en pays de Cocagne.

Orientés Nord-Sud sur les hauteurs et les pentes du plateau exposées aux rayons du soleil, les murs à pêches emmagasinent la chaleur le jour et la restituent la nuit grâce à une technique de construction et d’assemblage des matériaux, originale et séculaire. En 1870, 54 % du territoire de la commune, soient 500 hectares sur 920, sont occupés par les plantations qui font la réputation internationale des fruits produits par les Montreuillois à la fois paysans et ouvriers-artisans. L’exploitation locale des carrières de gypse fournit le plâtre grossier qui couvre les murs et sert de mortier pour lier les silex et caillasses, prélevés sur place. Le chaperon en forme de petit toit à double pente évite l’humidité supérieure et l’éclatement de l’édifice sous l’action du gel.

Les promoteurs des murs à pêches sont devenus des célébrités locales honorées dans leurs communes respectives : René-Claude Girardot, ancien compagnon de d’Artagnan, à Bagnolet et Nicolas Pépin, élève de La Quintinie jardinier de Louis XIV, à Montreuil. Ils enseignent à leurs concitoyens les techniques de la greffe en écusson sur un prunier de Saint-Julien ou sur un amandier, porte-greffe parfait pour les terrains pauvres, ainsi que la distance idoine entre deux murs (8 à 10 mètres) pour accumuler le maximum de chaleur et permettre la croissance idéale de pêches atteignant 450 grammes l’unité. Les récoltes s’échelonnent de juillet à octobre pour garnir les tables princières des cours de Versailles, Saint-Pétersbourg, London, Parma, Roma ou Berlin. Après avoir été mises en caisses, les pommes la queue en bas et les poires la queue en l’air, les fruits sont expédiés avec l’effigie de leur destinataire réalisée selon un procédé de calques dessinés par "photographie" et de désensachage. Les jardins sont surveillés par des volontaires, les gardes messiers, ancêtres des gardes champêtres, qui s’assurent que les surfaces cultivées sont exemptes de mauvaises herbes montantes propageant les mauvaises graines, sous peine de réprimandes et d’amendes aux propriétaires peu soigneux.

Treize horticulteurs de Montreuil donnent leur nom à des variétés de pêches reconnues dans le monde entier. Les arboriculteurs associent la culture de la vigne à la fois pour la fourniture de vin clairet pour la consommation familiale et la production de feuilles de vigne servant à l’emballage des fruits avant la mise en caissettes des douze millions de pièces annuelles destinées à l’exportation. Elles remplacent le papier de soie en gardant aux pêches leur fraîcheur et en protégeant la délicatesse de leur peau duveteuse. Les pampres sont pressés pour fournir le vin bacot aux ouvriers agricoles et aux carriers ; titrant à 11°, il est coupé pour le ramener à 5,5° et laisser la tête froide aux jardiniers. Le développement du chemin de fer avec l’arrivée précoce et abondante des fruits du midi méditerranéen sonne le glas des vergers de Montreuil malgré la conversion à des plantations plus tardives alimentant les Halles Centrales de Paris jusqu’à la fin du mois de septembre. L’adjonction de cultures florales retarde la réduction des surfaces cultivées mais, la concurrence, cette fois-ci batave, donne l’estocade aux horticulteurs montreuillois. Il ne reste aujourd’hui que 35 hectares de murs à pêches enclavant des "jardins de curé", amoureusement entretenus par des familles locales.

La déserrance territoriale ouvre les appétits spéculateurs et les envies immobilières. Au prétexte de vouloir loger une population en recherche d’urbanisme champêtre, certains élus locaux, et particulièrement le premier édile, Jean-Pierre Brard (ex-PC), ont prévu de lotir les trente-cinq hectares de terrains encore couverts par des murs à pêches en friche, en tirant un trait sur l’histoire sociale de la commune [1]. Les complices du baron Haussmann intégrant Belleville, Ménilmontant et Charonne à la tentaculaire capitale leur ont, il y a cent cinquante ans, tracé la voie. Le maire qui "sentait sa ville, selon un élu socialiste de Montreuil, a maintenant des problèmes d’odorat. Il va se planter et, malheureusement, nous allons nous planter avec lui". Il est regrettable qu’il ne pense pas à réhabiliter une mémoire ouvrière et paysanne de sa localité dont le patrimoine est sauvegardé par des associations mises à la portion congrue quant aux crédits, mais au dévouement sans limite. Les vitrines du petit musée accueillent les instruments de travail de ceux qui firent la notoriété de la qualité parfaite en matière de culture de pêches et de poires. Les appareils les plus insolites démontrent les qualités inventives des cultivateurs, telle cette machine à brosser les pêches imaginée par Paul Pézeril, jardinier astucieux et bricoleur.

Les outils : besognes (binettes) au fer usé par le labeur, les sécateurs, fourches, plantoirs, râteaux, serpettes, cisailles, greffoirs, inciseurs, griffes à gadoue attendent des mains courageuses pour reprendre l’ouvrage qu’elles ne veulent suspendues que pour un instant.



"Tétons de Vénus" Marinette

Sans départager les deux communes mitoyennes et antagonistes pour la paternité des "Tétons ", tout le monde devrait se réconcilier avec ceux de Marinette. L’esprit comptable du gastronome économiste sera apaisé de savoir qu ’avant la Grande Guerre, Montreuil-sous-Bois expédiait pour 4.800.000 francs or de pêches dans toute l’Europe.

Pour 6 personnes

- 6 grosses pêches de jardin
- 200 g de sucre de canne en poudre
- 12 éclats de bois de cannelle
- 3 œufs extra-frais
- 12 cerises confites
- 1 giclée d’extrait de vanille

Pocher les pêches dans un sirop, les monder, les partager en deux en éliminant le noyau et les remettre au sirop pour qu’elles restent bien blanches.

Casser les œufs avec précaution, séparer les blancs des jaunes. Monter les blancs en neige en ajoutant l’extrait de vanille, puis incorporer 50 grammes de sucre. Dans un plat à feu beurré, répartir les oreillons de pêche piqués du morceau de cannelle, en ayant soin de tourner la partie creuse des fruits vers le haut. Remplir avec les blancs en neige vanillés. Saupoudrer du reste de sucre en poudre. Cuire à four doux, thermostat à 5 ou 150°C, une vingtaine de minutes. Avec une spatule, couper pour présenter les oreillons sur assiette par deux en les retournant délicatement, chacun surmonté d’une cerise confite. On peut accompagner d’une crème anglaise.


Jean-François DECRAENE


Musée de la Société Régionale d’Horticulture
4, rue du Jardin École
931 00 Montreuil


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Une petite précision

Selon monsieur Denis Goguet, ce n’est pas à René Claude Girardot mais à son père Edmé ancien mousquetaire du Roi contemporain de d’Artagnan et fondé de pouvoir du Seigneur de Ménilmontant Claude Housset que nous devons la primeur de la culture de la pêche de Bagnolet.



Article mis en ligne en janvier 2015.

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[1Lire in Le Nouvel Observateur Paris-Île-de-France n°1941 , Le chef rouge et les pousses vertes, Benjamin Bathe.

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Réactions
par Denis Goguet - le : 3 février 2015

Salade de fruits à Montreuil

Bonjour,

Merci pour ce texte très intéressant et aussi pour la recette…
Une petite précision, ce n’est pas à René Claude Girardot mais à son père Edmé ancien mousquetaire du Roi contemporain de d’Artagnan et fondé de pouvoir du Seigneur de Ménilmontant Claude Housset que nous devons la primeur de la culture de la pêche de Bagnolet.

Denis Goguet

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