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Pétrir une motte de terre…

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Serge Castera


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Nuage.


Derrière la façade banale du 212, rue Saint-Maur, se succèdent trois cours, la médiane constituant à elle seule une longue rue intérieure pavée et fleurie sur laquelle s’ouvrent ateliers d’artisans et de sculpteurs dont les statues peuplent l’espace - au fond de la troisième, un alignement de verrières.

Devant un atelier, un amoncellement de roches arrachées à la carrière, grises ou brunes, vertes ou rougeâtres en attente du ciseau du praticien pour devenir oiseau, femme ou vague. Derrière le vitrage, un homme d’allure juvénile, très "florentin" de traits, Serge Castera, s’emploie à arracher d’une masse ondoyante de bois, en l’espèce le tronc d’un pommier oublié dans les champs, la forme d’un poisson qu’il attaque à la gouge. Le matériau, très dur de surcroît comme c’est le cas avec les bois fruitiers, a, d’une certaine façon, commandé de par sa ligne sinueuse et son mouvement originel, le motif.

La nature, sous tous ses aspects, animal, minéral, humain, végétal, les éléments proposent au jeune sculpteur un vocabulaire sans cesse renouvelé dont l’observation soutenue le conduit à engranger des formes, partant à susciter des émotions qui passeront dans le granit, l’albâtre ou la serpentine.

Il parle du caillou, de la pierre débusquée dans quelque carrière et dont les accidents de matière, les rugosités ou les déchirures sollicitent son imagination … Si quelques dessins, indications de mouvements et d’arabesques sur un carnet de croquis suggèrent le parti qu’il tirera de sa trouvaille, il entend attaquer à la taille directe, dans un corps à corps qui présente autant d’aléas que de virtualités.

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Serge Castera taillant un poisson dans le tronc d’un vieux pommier.

D’un geste précis que conduit l’idée de ce qu’il a en tête d’exprimer, il attaque au burin sa pierre vers l’intérieur, en direction du noyau de la matière pour éviter qu’elle n’éclate - précaution élémentaire peu à peu la forme sort de sa gangue, naissent des courbes adoucies, des méplats, un enchaînement de volumes qu’il s’attachera à polir longuement, à la râpe, puis au carborandum, au papier de verre humide pour parfaire - lente opération indispensable pour donner à la pierre son éclat, au matériau brut sa fraîcheur de coloris originelle - des reflets dont la lumière contribuera à mettre en valeur le jeu complexe des volumes.


La sculpture de Serge Castera offre par cette articulation de formes savamment modulées, une prise autant au regard qu’aux doigts enclins à caresser amoureusement la surface polie.

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La référence à la nature est l’essence de sa démarche, indifférent qu’il est à l’abstraction - il dote ses sculptures, de format moyen pour la plupart d’entre elles, d’une vie seconde, suggérant la réalité plus qu’il ne la représente, rien de réaliste au sens premier, mais une incitation à appréhender un réel épuré, stylisé : tel un oiseau en albâtre, surpris en plein vol, ailes déployées, saisi dans l’essentiel du mouvement - tel ce chat en serpentine (pierre d’un vert somptueux) ramassé sur lui-même selon un jeu de courbes et de contre-courbes, prêt, il se peut, à se jeter d’une seule détente sur un adversaire. Plus paradoxale l’œuvre intitulée "nuages", paradoxe de suggérer l’impalpable d’une forme en perpétuelle errance et mutation à l’aide du matériau le plus contradictoire, la pierre, traversée pourrait-on dire par la lumière … le choix de l’albâtre, en l’occurrence, concourt à l’effet d’irréalité de la nuée.

Hiératiques, des figures féminines nous entourent, venues peut-être par un long cheminement, des statues-colonnes de nos cathédrales (une des admirations de Serge Castera, passionné d’art roman) et dressent leur ligne élancée, d’une seule venue, arrachée au granit, poli ici, là laissé à l’état brut.

C’est dire si l’univers du sculpteur ne se limite pas à quelques thèmes, mais se nourrit de tout ce qu’il voit et recueille ; sans doute aucun l’émotion violente qu’il éprouva adolescent, en pétrissant dans sa main une motte de terre, porte sa démarche, aujourd’hui comme naguère, et sous-tend son exigence de praticien, son goût irrépressible du "faire".

Aussi loin qu’il considère sa trajectoire, il se voit toujours occupé à travailler de ses mains, à construire des maquettes à l’aide de bois, de papier ou de plâtre - avec les années, il se rend plus qu’habile à toutes les techniques d’exécution de la décoration (un passage à l’école Boulle n’y est sans doute pas étranger). Son amour profond de la terre, qui le lui rend bien, son besoin de dépense physique trouvent leur exutoire et leur raison d’être dans les œuvres qui peuplent le vaste atelier où il vient d’emménager, un lieu dont il s’attache à apprivoiser la lumière particulière, "sa" lumière.

Une sculpture n’est pas faite seulement de pierre ou de bronze, mais autant de lumière.

Serge Castera répugne aux grands vocables qui ne recouvrent souvent que pauvre réalité, il se veut avant toute chose artisan … comment ne pas évoquer à son propos le mot du dramaturge Michel de Ghelderode : "Au mot d’artiste qui pue, je préfère celui d’artisan qui fleure bon … ".

Les maillets, les masses de l, 2 ou 3 kilos, les burins, les outils en tungstène qui ressemblent à de gros crayons et permettent de dompter le granit, les instruments en acier, les gouges sont là pour attester de sa volonté farouche d’avoir raison de la matière. Le savoir qu’il a acquis par une pratique rigoureuse, les enseignements de René Coutelle, il n’entend pas les garder par-devers lui, il souhaite le transmettre à des élèves. Il sait que son moyen d’expression passe aussi par l’humain, par le regard, la main et l’impulsion de l’autre. Les "êtres en devenir" que sont les jeunes "mordus" par le démon de la sculpture ont besoin de cette impulsion qui les conduira à arracher à la matière son mystère.

Sans nul doute, Serge Castera est-il de ces découvreurs capable d’arracher au limon ses secrets.

Michel Brunet

Serge Castera 212, rue Saint-Maur 75010 Paris


Article mis en ligne par Mr Antoine Seck, collaborateur à La Ville des Gens. Actualisé en décembre 2013.

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