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À vos quartiers !

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Un village oublié : La Villette


Quand l’émission de télévision « À vos quartiers ! » découvre la vocation laborieuse d’un village oublié : La Villette.

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Les abattoirs vers 1900 - Photo X.


Karine, l’animatrice attentive et souriante de l’émission télévisuelle de France 3 "À vos quartiers !", fait découvrir un quartier de Paris, un village d’Ile-de-France, un coin méconnu de la périphérie parisienne. Le 1er juin 2002, le village de La Villette est à l’honneur. Karine permet à Quartiers Libres, grâce à la parole qu’elle nous donne dans l’étrange lucarne, de remettre "les pendules à l’heure" à propos de cette partie, souvent oubliée, du 19e arrondissement.

Pour le commun des mortels, le 19e arrondissement reste limité à Belleville. C’est abandonner bien vite la totalité de l’ancien village de La Villette qui, avec la partie nord de Belleville, compose depuis 1860 la dix-neuvième municipalité de Paris.

Les anciens Villettois et leurs enfants évoquent en cheminant le passé d’une population toute entière vouée au travail. Dès 1198, le hameau agricole de La Villette fournit le marché des Innocents (situé dans le cimetière des Innocents au cœur du quartier qui deviendra celui des Halles) en fruits et en légumes. De 6.000 âmes en 1820, la petite cité passe à 30.000 en 1860 lorsque le port de La Villette et son bassin de 800 mètres de long, accueillent annuellement dans les entrepôts 1.100.000 tonnes de marchandises déchargées de 10.000 péniches et chalands par 2.000 débardeurs. L’ensemble est transformé dans les ateliers voisins par 10.000 ouvriers Flamands et Bataves, Allemands et Lorrains, Italiens et Polonais, Villettois et Bellevillois.

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Le bassin au début du XXème siècle.


Les canaux de l’Ourcq et de Saint-Denis réunis en canal Saint-Martin, construits par les prisonniers des guerres napoléoniennes, sont initialement prévus pour la seule alimentation en eau de la ville de Paris. On découvre rapidement l’utilité de la nouvelle voie d’eau pour le transport des marchandises de toute nature, des pondéreux aux pulvérulents, des produits alimentaires du Nord et de l’Est aux munitions fabriquées par la poudrerie de Sevran. Les écluses sont aménagées au gabarit normalisé (38,5 mètres de long x 5,05 mètres de large) qui porte le nom de l’ingénieur Freycinet permettant le passage des chalands les plus lourds de l’époque. L’équipement routier, batelier et ferroviaire, la taille des entrepôts et la capacité de traitement des usines périphériques font de La Villette, jusqu’en 1914, le premier port de marchandises français, juste devant Bordeaux. Les usines s’installent à La Villette autour des entrepôts de douane et de stockage. Les raffineries de sucre de Lebaudy et Sommier emploient 1.000 ouvriers. Les 2.000 hommes et femmes, aux tenues portant la marque Félix Potin traitent, pèsent, emballent et livrent l’ensemble des liquides et solides vendus sous l’étiquette de l’épicier qui ne disparaîtra qu’à la fin du xxe siècle. L’entreprise Barbier, dans ses ateliers de la rue de Cambrai (actuellement réhabilités) découpe et polit les verres lenticulaires qui équiperont le Service national des Phares & Balises. Les chiffons ramassés dans les poubelles parisiennes par les biffins sont nettoyés et traités par Verdier, les cabosses sont transformées en tablettes de chocolat par Guérin & Boutron, les mélasses sont concentrées par Gallet-Gibout, les pianos qui enchanteront les soirées de la bourgeoisie du Second-Empire et de la Troisième République sont assemblés par Érard. Les chaudières marines équiperont les navires marchands en quittant les forges Niclausse de la rue des Ardennes dont les fours et les machines sont alimentés en énergie par les 4.000 employés de la Compagnie du Gaz de la rue de Crimée. Les déchets entreposés sur la grande voirie bordant la voie d’eau sont évacués des vidanges par 500 ouvriers spécialisés. Les défunts parisiens deviennent un peu Villettois : les 50.000 inhumations annuelles sont effectuées, selon les usages funéraires de chacun, par les"croquemorts" de la Compagnie Municipale des Pompes Funèbres de la rue d’Aubervilliers. Le bois des cercueils, le fourrage des chevaux de corbillard, les animaux de trait, percherons, postiers bretons, boulonnais et ardennais sont arrivés à bon port, transportés sur les bateaux du canal mitoyen. Le souvenir des animaux venant par eau et par fer de toutes les provinces de France, est présent dans les quelques bâtiments restés debout sur les terrains du marché et des abattoirs de La Villette. Eh oui ! Le marché et les abattoirs sont des entités bien distinctes.

La Grande Halle de 20.000 m2 , qui accueille journellement depuis 1867, 5.080 bœufs et vaches en pleine santé, était entourée de deux autres auvents protecteurs. Celui de gauche abritait 31.300 ovins, moutons, béliers et brebis réunis. L’appentis de droite protégeait 2.000 veaux et 5.800 porcs, dont la plupart échappaient au merlin des tueurs et au couteau des égorgeurs. L’ensemble représentait le plus grand marché quotidien de bestiaux en France. Il alimentait, entre autres, les abattoirs de La Villette aux installations mitoyennes du canal séparant les deux activités. Les bêtes qui échappaient ainsi au découpage en quartiers de boucherie repartaient du terminus Paris-Bestiaux dans des wagons stationnés sur les cinq voies raccordées au réseau national par l’embranchement de la station de chemin de fer Belleville-La Villette. Ils seront revendus à des chevillards de province, soit pour la reproduction, soit pour l’embouche, soit pour être abattus dans des tueries locales pour l’alimentation carnée des villes et villages. Les amateurs d’architecture industrielle bénissent le nom de Jules de Mérindol, élève de Victor Baltard (1805-1874). Son patronyme, un instant confondu avec celui de son maître dans les mémoires, se perpétue dans les entrelacs métalliques de son chef-d’œuvre. Les abattoirs sont aménagés en tueries autonomes autour de 32 cours abritant 220 échaudoirs où officient 200 bouchers. Une usine assure l’alimentation en courant pour le fonctionnement conjoint d’une usine frigorifique et de machines électriques. Les viandes, après un court séjour au froid, sont réparties dans les ateliers de découpe et de transformation desservis par les rues alentour. Les sous-traitants, mégisseries, boyauderies, ateliers de traitement des graisses, suifs et flambarts, charcuteries industrielles, etc., se répartissent dans l’arrondissement et dans les communes voisines, au-delà des fortifications.

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L’humaniste retient le nom d’une grande dame : Jacqueline Gilardoni (1915-2001), protectrice des animaux et amie de la profession vétérinaire. Après de nombreuses visites auprès des professionnels de la viande, et particulièrement par des rencontres dans les tueries de La Villette, elle obtient des pouvoirs publics une humanisation de l’abattage : insensibilisation des bêtes avant saignée, remplacement en 1957 du merlin à main par le pistolet d’abattage pour les bovins, transport sur des courtes distances des animaux vivants, aménagement et nourriture des bestiaux en attente d’abattage, etc.

La fermeture des abattoirs en 1974, les nouvelles habitudes de consommation et de transformation des denrées alimentaires, les délocalisations des activités polluantes, ont modifié la destination des bâtiments qui sont aujourd’hui réhabilités. Le secteur économique tertiaire (les services)se substitue au secteur secondaire (industries et transformation semi-brute) : les grands couturiers, les voyagistes, les promoteurs en tout genre occupent des locaux climatisés et perpétuent la tradition de La Villette qui fait de l’ancien village un centre d’intégration par le travail artistique, culturel et commercial.

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Merci Karine pour ces vingt minutes évoquant la vocation laborieuse (au sens noble du terme) de La Villette. Merci d’avoir rappelé aux Franciliens de Vos Quartiers, par le truchement de l’écran de télévision, ce qu’ils doivent aux travailleurs du 19e arrondissement ; votre sourire éclaire leur souvenir, votre voix douce les fait revivre et les dédommage des efforts anonymes pour une reconnaissance enfin acquise ; votre émission montre à tous que la succession est assurée.

Jean-François DECRAENE


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Rue des Rigoles
Livre de Gérard Mordillat

JPEG - 16.7 ko… "Rue des Rigoles, il y a des Pompes beaucoup moins chères !" Avec la majuscule, il s’agit des Pompes… Funèbres.

Cette phrase extraite de la fin du premier chapitre qui relate la mort de la mère du narrateur - l’auteur - donne son titre au livre et l’une des caractéristiques de cette biographie : l’humour. Avec la dernière partie - retour à l’appartement désormais vide des parents - cette introduction encadre l’évocation d’une enfance dans le 20e arrondissement dans les années 1950-1960.

Emotion aussi dans ce début et cette fin, accentuée par le hasard qui fait revenir justement l’auteur de Vancouver, ville de naissance de sa mère, et retrouver la carte qu’il lui a envoyée mais qu’elle n’a pas pu voir avant sa mort.

Le ton de reste du livre est beaucoup plus léger, les titres des chapitres en témoignent, "la louche emmaillotée", "la pêche à la chaussette", "l’arbre à dents", "ô vélo, ô châteaux", par exemple.

Et nous nous promenons de la rue des Pyrénées aux Buttes-Chaumont, de l’école Sorbier à la rue Baudelaire au au gré de la chronologie, de la naissance aux succès amoureux.

Mais chaque partie jongle avec cette chronologie pour garder une unité : Gérard Mordillat nous rappelle ce que l’on mangeait, comment on se logeait, on se soignait dans un milieu populaire il y a quarante ou cinquante ans. Et que de cinémas à Belleville-Ménilmontant encore à cette époque ! (Voir Quartiers Libres précédents numéros : 14-29-41).

Quant aux amis "Pater, Vantiou, Penna", s’ils sont restés fidèles, au point de partager un temps les premiers boulots, les tantes, nombreuses, ont sans doute peu à peu disparu, Lucie, la sœur de l’amant d’une grand-mère, tante Plume, tante Yvonne, Zézette et surtout Suzanne.

De gauche, anti-religieuse la famille - père serrurier à la S.N.C.F. , mère traductrice chez Berlitz - parle en phrases rapides, à l’emporte-pièce, ce que fait également le fils, avec des réflexions amusantes, plus ou moins saugrenues : "La cervelle, ça ne passe pas… C’est un principe, une tradition ouvrière : on ne mange pas l’outil de son travail.", "Les poissons rouges sont comme les morts, ils ignorent l’horreur de leur situation."

La tante Suzanne aime autant le vin que la quintonine auquel elle est mélangée : "Que celui qui n’a jamais été aussi seul qu’elle lui jette le premier verre."

"Je ne crois pas que j’assisterai à mon enterrement. Ça pue ces choses-là."

Les jeux de mots, nombreux, sont plus ou moins faciles : "La connaissance par les gouffres" d’Henri Michaux devient "la connaissance par les gaufres" dans un passage à la gloire de celles-ci.

"Des mots d’amour à l’amour des mots, il n’y avait qu’une porte à pousser."

L’évocation documentaire- déjà - du quartier rappelle bien des souvenirs et paraît d’une autre époque : la société a donc changé si vite ?

"Sur les coteaux herbeux de la rue des Pyrénées, près du port, à côté de la villa Stendhal, j’ai vu brouter le dernier troupeau de chèvres de Paris. J’ai vu aussi la diligence du vin "Postillon". J’ai connu les marchandes des quatre-saisons, les rémouleurs, les chiffonniers et les chanteurs à qui on jetait des pièces entortillées dans du papier journal…"

Que reste-t-il des cafés, lieux de rendez-vous des amis : "L’Etoile d’Or", "Le Khévive", place Gambetta, "L’Espérance", rue Orfila, "Le Café de la Poste ", "La Terrasse", "Le Canotier" ?

"Puis tout le monde a eu le téléphone et c’en a été fini des cafés."

"Rue des Rigoles" a plu à un libraire de "Belleville-Ménilmontant" qui l’a conseillé aux auditeurs de France-Inter, lecteurs de Quartiers Libres, "Journal de Belleville et du 19e arrondissement", ce livre devrait aussi vous plaire.


Jacqueline HERFRAY



Article mis en ligne en 2010 par Mr Antoine Seck, collaborateur à La Ville des Gens. Actualisé en décembre 2014.

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