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Caroline Bouyer, artiste plasticien graveur

Caroline Bouyer, artiste plasticien graveur ancre sa passion au 70 de la rue Ménilmontant. Pour rejoindre la galerie-atelier, il faut gravir la rue de Ménilmontant jusqu’à mi-pente. Là, un petit bout de femme d’une trentaine d’années, les cheveux courts, cachés et protégés sous une chapka, la veste arrondie par 6 mois de grossesse, tourne la manivelle pour remonter le rideau de fer qui ferme sa vitrine.

Un décor à la Jean-Pierre Jeunet

« Port du tablier obligatoire » prévient le panneau quand on entre dans les lieux. Message compris : ici on se salit !
C’est au cœur de cette petite « cuisine » où trône la presse affublée de son énorme volant que depuis 2007, la jeune femme travaille, expose et… reçoit ses amis.

Sur les murs, se dévoile une partie de l’univers gravé de l’artiste. Un buste d’homme en noir et blanc issu de sa série sur les corps de comédiens, une jeune fille sur une balançoire provenant de ses compositions libres et enfin les œuvres qui occupent en ce moment toute l’attention de la jeune femme : les paysages urbains. Pots de colle, d’encre, papiers suspendus à un fil et autres ustensiles complètent ce décor « à la Jean-Pierre Jeunet ».

Les chantiers urbains, sources d’émotion

Le chantier de la Bibliothèque François Mitterrand, la démolition de l’hôpital Tenon, la réhabilitation des Grands Moulins de Pantin, cette série de paysages en transformation de l’Est parisien qui touche beaucoup l’artiste de par leur côté éphémère, attire également le regard d’un jeune couple de visiteurs avec bébé qui, intrigué depuis longtemps par cette galerie-atelier vient juste de rentrer.

De sa voix douce et posée, celle qui s’est émue devant « le bâtiment des Moulins de Pantin tellement vibrant et ce ventre ouvert qu’on ne verra plus jamais » vient spontanément leur expliquer son travail.

« Pour réaliser cette série des chantiers parisiens que j’aborde à la manière d’un témoignage journalistique, d’un travail d’archives, je prends d’abord des photos sur place que je traduis par la suite en dessins. J’indique seulement en pointillés certains détails que je vais ensuite graver directement sur la plaque selon mon inspiration » précise-t-elle en montrant la plaque en plexiglas noircie par l’encre qui lui a servi de matrice.

Les forces de noir…

« Ensuite, j’encre le creux de la matière et j’ajoute le carborundum* avec de la colle qui va absorber l’encre. L’idée est d’avoir des forces de noir et de matières. Plus c’est creux, plus c’est noir, ce que j’aime c’est avoir des forces de noir ».

Quant à la couleur qui est absente de l’œuvre, elle répond « qu’elle serait trop anecdotique », le noir et blanc faisant mieux ressortir ce type de sujet. « Après avoir essuyé l’excédent de matière, je pose le papier sur la plaque et je passe le tout sous la presse. C’est un technique qui est plus fragile que les autres et dont on ne peut tirer qu’un maximum de 50 épreuves » continue-t-elle.

Mettre en valeur un art méconnu

La gravure, elle est tombée dedans quand elle avait 15 ans : « Quand j’ai vu dans l’atelier ces plaques avec ces lettres à l’envers, ça a été comme un flash, ça m’a tout de suite rappelé la manière dont j’écrivais mes carnets à la maison et là je me suis dit, c’est un signe ».

C’est ainsi que cette jeune artiste s’explique la passion qui s’est emparée d’elle lors de sa découverte de l’atelier de son école d’art, au lycée. « Et puis, j’ai tout de suite aimé les vieux outils, les vieilles plaques, les dessins, les odeurs, toute cette cuisine avec les produits, ça me convenait bien ».

Depuis elle n’a de cesse de promouvoir cette forme d’art trop souvent méprisée et dont elle « rêverait qu’elle soit mieux représentée dans les lieux de création contemporaine ».

Un pied de nez aux artistes contemporains en costume

En 2008, elle a cofondé l’association « Burettes et huile de coude » dont le nom humoristique a été choisi comme « un pied de nez à cet art contemporain trop conceptuel, fait par des artistes en costumes qui font travailler les autres ».

La burette explique-t-elle « est l’ustensile dont se servent tous les graveurs pour huiler les pots d’encre ou les rouages de la mécanique et qui rappelle clairement le côté manuel de notre technique artistique ».

Ce petit collectif constitué de 5/6 graveurs qu’elle a choisis pour la qualité de leur travail siège dans son atelier où il expose chaque année. « L’idée est de travailler en coopérative, de faire tourner les bons plans, de mettre nos forces en commun… », continue-t-elle.

Ses cours, notamment à l’école Estienne, dans le 13e arrondissement, ses ateliers du week-end à la galerie, son soutien actif à d’autres associations d’artistes -graveurs du quartier sont aussi pour elle le moyen de diffuser à un plus grand nombre cet art qui la fait vivre.

Calaveras et vanités

Ses voisins du 49 bis rue des cascades et fondateurs de l’Association pour l’estampe et l’art populaire
ont d’ailleurs trouvé en Caroline une alliée de choix.

Depuis 2 ans, lors de l’exposition « Calaveras et Vanités », que Raoul Velasco et Kristin Meller organisent en automne et qui célèbre les traditions de la Fête des morts mexicaine, elle leur prête main forte en offrant aux multiples créations humoristiques et satiriques l’espace supplémentaire de sa petite galerie.

Aider les jeunes talents a aussi du sens pour cette artiste reconnue dont certains des « chantiers urbains » ont déjà été acquis par la Bibliothèque Nationale et par d’importants clubs de collectionneurs. Ainsi quand Caroline ne travaille pas à la galerie, Barbara Martinez une jeune artiste graveur illustratrice pour enfants, dont on peut voir les œuvres colorées aux côtés des compositions de sa « marraine » s’installe-t-elle à son tour dans la cuisine du 70 rue de Ménilmontant.

Une envie de fer

Aujourd’hui, cette fille de cheminots qui se rappelle presque en riant de son enfance marquée au sceau de la SNCF et de ses vacances dans des centres de loisirs où des wagons réaménagés servaient de dortoirs, reprend le chemin de la gare. Mais ce voyage-là aura pour objectif : « une série de prises de vues de lieux désaffectés, abandonnés, plus poétiques, le long des voies ferrées de France ».

En regardant le parcours de Caroline Bouyer pour qui l’habitude de la ferraille, des rouages des machines, de l’huile à graisser, n’est certainement pas étrangère à sa vocation, on peut se poser la question de savoir quelle est la part de l’enfance qui détermine la voie de chacun d’entre nous ?

Un quartier sur la pente… de la bobotisation

« J’ai grandi en banlieue, à côté des Mureaux, mais je fréquente l’Est parisien depuis que je suis allée à l’école Estienne, place d’Italie, et puis à 19 ans, je me suis installée dans le 19e, ensuite dans le 20e, maintenant j’habite au Pré-Saint-Gervais dans le 93. Ce que j’aime ici c’est tout, le côté populaire, la mixité, la proximité des gens, leur côté accessible. Il y à une chaleur qu’on ne ressent pas dans les autres quartiers de Paris.

Il y a une mixité sociale et raciale mais ça se bobotise beaucoup, il y a beaucoup plus de mixité au Pré Saint Gervais ».

« Ce n’est pas un quartier de passage, il y a peu de bureaux. Il y a beaucoup plus d’habitants, c’est ce qui fait que c’est un quartier vivant. J’ai beaucoup d’amis d’ici et d’ailleurs, c’est à l’atelier maintenant qu’ils viennent prendre un café, boire un verre, eh oui ! on a de l’alcool ici aussi », continue-t-elle en se mettant à rire.

« J’aime me balader dans les petites rues typiques comme la rue des Cascades ou la rue de l’Ermitage, on y voit des petites villas, des maisons, des jardins, des fleurs, il y a un côté ancien qui est agréable. C’est un quartier où les choses se font à pied

Et puis surtout, il y a la pente, c’est un des trucs que j’aime le plus. Ici c’est la colline, la montagne de Paris. Je vais dire un truc tout con, mais quand il pleut dans la plaine, et bien ici, il neige ! On a des vues avec des perspectives, des visions d’horizon, ça change la façon de vivre à Paris, moi dans les autres quartiers je me sens écrasée. Et puis, on en fait notre espèce de fierté à nous parce que malgré tout, ce n’est pas facile à vivre tous les jours surtout quand on est enceinte ou avec une poussette, là, on en a marre ».

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Ses lieux :

-  Le cimetière du Père Lachaise « C’est un truc à part, une bulle, c’est un voyage, un lieu calme, où il y à une vraie nature, des arbres qui poussent, une sérénité, c’est chargé et d’histoire et de culture, c’est hors de la ville, hors de tout ».

Ses restaurants :

- « Le Quartier Général » : les gens sont sympas, la cuisine est bonne et pas sophistiquée, c’est pas trop cher, l’ambiance est familiale, ils ne profitent pas du côté branché du quartier, ils ne se moquent pas des gens. Le Quartier Général

- L’Entrepot’s : « Avant que j’installe l’atelier dans cette rue, on allait souvent dans ce bar très sympa et vivant où il se passe beaucoup de choses, maintenant c’est vrai que c’est souvent dans mon atelier qu’on boit un verre ! » L’Entrepot’s 2, Rue Sorbier, 75020 Paris

- Le Shopping : J’aime le marché de la rue des Pyrénées, pour le lien social. On a son maraîcher, son poissonnier…

La boutique bio « Senteurs de Provence » Senteurs de Provence
282 Rue des Pyrénées 75020 Paris

Propos recueillis par Géraldine Bernard, février 2010


PLUS :
- Le site de Caroline Bouyer
- Les Ateliers d’Artistes de Belleville
-  l’Association pour l’estampe et l’art populaire


*Le Carborundum est une poudre extraite d’un minerai le carbure de silicium.
Dans la gravure au carborundum il n’y a pas d’action de creuser la planche de quelque manière que ce soit, mais au contraire de la recouvrir partiellement d’un grain de carborundum que l’on fixe à l’aide d’un vernis.
C’est ce grain une fois fixé sur la planche qui va retenir l’encre comme le fait le creux de la taille-douce.
Les parties de la gravure qui comportent le carborundum vont donc former une surface composée d’une multitude d’aspérités très acérées et très rapprochées les unes des autres.
Les creux formés entre les aspérités vont donc retenir l’encre de façon plus ou moins intense suivant que les grains sont plus ou moins gros et plus ou moins rapprochés.
En jouant sur les différents calibres de grain et sur leur densité il est possible d’obtenir des.effets allant du noir le plus intense jusqu’aux dégradés les plus fins.

Henri GOETZ, inventeur de la technique du carborundum (en 1967)

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