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Chez Ahmed et Boussad

Ça pourrait s’appeler chez Marcel, chez Pierrot ou chez Marius sauf que l’on est chez Ahmed mais c’est du kif-kif, un troquet, un bar, un rad, un endroit où l’on se sent bien et où on peut trouver ses marques…

Chez Ahmed Takhedmit, on croise la mixité du 19ème, les costumes-cravates à la bière rapide, les employés municipaux qui ne sont pas en reste, les jeunes du cours Florent et les jeunes tout court, les gars comme moi, les Asiatiques récemment arrivés dans le quartier, les Africains, enfin, tout le toutim !

Ahmed à gauche et Boussad à droite

Chez Ahmed et son compère Boussad il n’y a jamais le feu, un beau et gros palmier posé sur le comptoir vous accueille, histoire d’évoquer le pays et rappeler la légendaire hospitalité berbère.

Une fois entré, vous avez le droit au large sourire de Boussad qui doit être inscrit dans ses gênes tellement il est franc et rayonnant. Pour obtenir un sourire d’Ahmed c’est plus difficile, non pas qu’il en soit avare mais il est comme ça ! Sans sa moustache, ce serait plutôt Gabin ou galabru que Blier ou Lefebvre, et si je cite ces acteurs d’une autre époque, c’est que nos deux compères ont l’âge d’être grands-pères et même arrière grands-pères et c’est aussi pour cela que l’on se sent bien chez eux.

A force de poser mon sac chez lui, Ahmed a accepté de répondre à quelques questions, l’homme n’est pas un grand bavard mais il m’a promis qu’un jour il se livrera avec moins de retenue sur son passé et sa vie en France.

- Ahmed, depuis combien de temps êtes-vous installé dans le 19ème ?

« Je suis arrivé dans le coin en 1966, cela va faire 44 ans que je suis là, une vie entière derrière les comptoirs. »

- Le Mathis n’est donc pas votre première affaire ?

« Ah non ! j’ai d’abord tenu un bar-restaurant au 48, rue Curial, puis un bar hôtel rue Labois-Rouillon à 2 rues d’ici et aussi “Le Berbère“, un bar-hôtel-restaurant rue de Flandre. »

On sent que l’homme a des souvenirs à la pelle surtout concernant cette dernière affaire…. « Le Berbère, c’était la grande époque, on faisait plus de 150 couverts le midi, c’était toujours plein, on rigolait et on travaillait bien, mais un jour il a fallu déguerpir : travaux dans la rue de Flandre, expropriation, etc, etc, les clients m’avaient dit de tenir tête, de résister mais moi je savais que cela ne servirait à rien, donc on a fait nos valises. »

Le « On » me plait bien, car quand Ahmed et sa famille bougent, Boussad bouge aussi. Originaires de la même région de Kabylie, ils sont compères de toujours et compagnons à jamais.

« Je travaille avec Boussad depuis plus de 25 ans et on tient le Mathis depuis 18 ans, le quartier a toujours été calme, peu passant, mais les habitués sont là, beaucoup de jeunes, surtout le cours Florent qui est juste à côté. »

J’en profite pour lui glisser que Pauline une ancienne élève du cours Florent qui avait accordé une interview à La Ville des Gens avait parlé de lui en le comparant affectueusement à son grand-père, on sent l’émotion poindre.

« Le cours Florent, ils sont très polis et gentils, depuis 18 ans, je n’ai jamais eu de problèmes avec eux, ni avec les jeunes en général, on fait en sorte qu’ils se sentent comme à la maison. Des fois j’en vois qui comptent leurs sous, alors je leur paye un Kawa, car certains travaillent pour payer leurs études. C’est aussi pour eux que je n’ai pas augmenté les prix. »

- Le quartier a-t-il changé depuis 20 ans ?

« Bien sur qu’il a changé, beaucoup d’entreprises ont disparu, comme la grosse imprimerie qui était en face, rue Curial, ou la Bière… et d’autres choses se sont installées comme récemment l’arrivée du 104 à côté. »

- Cela apporte de la clientèle ?

« Pas trop pour l’instant, moi je n’aurai pas fait ça, à la place j’aurai bien vu une espèce de grand marché couvert, ouvert tous les jours avec aussi des endroits à l’intérieur pour les jeunes et les associations, un gros mélange pour faire bouger le quartier, on pourrait jouer aux dames, aux échecs, se rencontrer entre communautés. Je ne dis pas que le 104 n’est pas une bonne chose, mais j’attends de voir, et puis place aux jeunes, on n’a plus trop notre mot à dire nous autres les vieux ! »

- Et la Kalylie, vous y retournez ?

« De temps en temps, pour voir la famille et quand je peux… » Sur cette considération qui laisse planer tant d’autres questions, Ahmed se lève en me remerciant, ce que je fais à mon tour, car une flopée de jeunesse a envahi le bar, certains rient, d’autres miment les scènes qu’ils doivent répéter pour l’après-midi.

Le teint hâlé, les cheveux gris qui ont du être proches du blond ou châtain dans leur jeunesse, les yeux clairs à la Zizou, ces deux là me font vraiment penser à certains amis de mon père dans le fin fond de la Calabre. De là à dire qu’ils ont des têtes de Calabrais ou que certains Calabrais ont des têtes de Kabyles, il n’y a qu’un pas que l’histoire du brassage humain autour du bassin méditerranéen me permet de franchir allègrement. Mais de là à dire que Zizou aurait peut être des ancêtres calabrais, il y a un pas que je ne franchirai pas car il est comme moi, Français avec des origines… et blablabla.

Donc si d’aventure votre chemin vous emmène dans le coin, car c’est un vrai coin, à l’angle de la rue Mathis et de la rue Curial, passez la porte et n’hésitez pas à dire que vous avez lu cette petite interview, vous verrez les visages de nos deux compères s’éclairer.

Sinon, pour le reste, c’est un des seuls cafés-bars de Paname où le « casse-croûte » avec du pain frais qu’ils vont vous chercher à la boulangerie d’en face est à partir de 1,80€ (11,80 francs) et ou la bière de base est à 1,90€ (12,50 francs), en ajoutant le café à 1€ (6,56 francs), vous pouvez donc vous sustenter pour moins de 5€ (32,80 francs), cela vaut le coup d’être souligné.

Salvatore Ursini - Novembre 2009

Photos © Djamel Ben Belaïd -
djamel.b@reseau2000.net

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