Visiblement disjoints par une violence
Et l’eau qui est entre eux sort de leur déchirure.
Jules Romains.
Auteur prolifique, Jules Romains est resté célèbre surtout pour deux œuvres : « Les hommes de bonne volonté », une immense fresque romanesque en 27 volumes, et « Knock ou le triomphe de la médecine », une comédie dont le succès ne s’est jamais démenti.
Le texte ci-dessous n’est pas exactement une chanson, mais un poème extrait de son roman « Le Voyage des amants » (1920), qui décrit le port de La Villette d’une manière à la fois exaltée et rude, par tout un jeu de sensations fantastiques.
Comme un camion de tôles
Qui roule au trot sur un pont.
A dix heures du matin,
C’est un bonheur dru et dur !
Il pousse ; il fait pression ;
Il veut sa place et son jour.
De quelque vieille voûte ;
Il vous descelle, il vous fend,
La brute ! il vous démolit.
Quelqu’un de trop grand est comme étendu tout nu,
Là-dessous, dans le sol gras et puant le gaz.
De pavé, d’asphalte et de sable charbonneux.
Mais il n’est pas mort ! il respire rudement.
Il force avec les ressorts coulés de ses côtes.
Tout se soulève, se sépare, se démet.
Deux docks, hauts et bruns, sont l’un en face de l’autre,
Visiblement disjoints par une violence ;
Et l’eau qui est entre eux sort de leur déchirure.
Jules Romains.