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A La Villette
Dans l’ jour i’ baladait son chien,
La nuit i’ rinçait la cuvette,
A la Villette.
Une silhouette (chapeau noir, écharpe rouge) immortalisée par les affiches de Toulouse-Lautrec, une voix nasillarde, des mélodies lancinantes, des textes souvent crus et réalistes : Aristide Bruant reste l’une des premières grandes figures de la chanson parisienne, au tournant du 19e et du 20e siècles.
Beaucoup de chansons de Bruant portent sur un territoire, un quartier précis de Paris, il suffit d’égrener les titres : « A Grenelle », « A la Goutte d’Or », « Belleville, Ménilmontant », « A Saint-Lazare », et ici « A La Villette ».
Bruant compose ici le portrait d’un personnage, un petit maquereau qui finit guillotiné place de la Roquette. L’histoire, racontée du point de vue de sa gigolette (prostituée), est classique. Mais elle est servie efficacement par la verve de Bruant, son sens du langage populaire.
Bruant maniait bien l’argot, dont il avait même composé un dictionnaire, et emprunte même pour désigner son personnage le jargon des bouchers de la Villette, le louchebem (Laripette est la traduction de Paris en louchebem).
I’ connaissait pas ses parents,
On l’app’lait Toto Laripette,
A la Villette.
Mais c’était un joli garçon :
C’était l’pus beau, c’était l’pus chouette,
A la Villette.
Il avait pas des beaux habits,
I’ s’ rattrappait su’ sa casquette,
A la Villette.
Il avait deux p’tits favoris,
Surmontés d’eun’ fin’ rouflaquette,
A la Villette.
Vous parler d’ sentiment, d’amour ;
Y avait qu’ lui pour vous fair’ risette,
A la Villette.
Qu’avait eun’ gross’ gueul’ de terrier,
On peut pas avoir eun’ levrette,
A la Villette.
I’ m’ demandait pardon, à g’noux,
I m’app’lait sa p’tit’ gigolette,
A la Villette.
Dans l’ jour i’ baladait son chien,
La nuit i’ rinçait la cuvette,
A la Villette.
Mais l’ soir, quand je r’ tirais mon bas,
C’était lui qui comptait la galette,
A la Villette.
I’ dégringolait les pochards
Avec le p’ tit homme à Toinette,
A la Villette.
Nous nous aurions quitté jamais
Si la police était pas faite,
A la Villette.
Les ramass’nt comme des escargots,
D’la ru’ d’ Flanche à la Chopinette,
A la Villette.
On peut pas en conserver un :
I’ s’en vont tous à la Roquette
A la Villette.
Il avait l’ torse à moitié nu,
Et le cou pris dans la lunette,
A la Roquette.