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Bert Rückert

Rester humble et continuer à chercher

Un artiste infatigable raconte ses couleurs, ses tableaux, ses recherches, ses difficultés, ses espoirs, librement et avec passion.

Un long voyage : de la mécanique à la peinture

Max Torregrossa, galerie VivoEquidem.Je suis né à Marktredwitz, une toute petite ville de la Bavière du nord près de la frontière tchèque. A 15 ans j’ai commencé un apprentissage comme mécanicien. Travailler avec mes mains m’a toujours plu et j’étais très habile. Je ne voulais pas rester dans ma ville natale pour toujours. Le monde était beaucoup plus grand mais en même temps je ne savais pas bien quoi faire. Au début je me disais « je vais faire une école d’ingénieur » mais finalement j’ai fait une deuxième formation, un apprentissage de sculpture sur bois. A ce moment là j’ai eu un déclic et j’ai compris que peut être il y avait la possibilité d’une vie plus excitante, plus ouverte moins prédéfinie à l’avance.

En 1979 je me suis inscrit aux Beaux Arts à Munich, j’avais 26 ans. Pendant ces années ma famille m’a toujours soutenu, pas financièrement, mais ils ne m’ont jamais fait de reproches ; ils m’ont laissé le temps de trouver mon chemin et cela a été très important dans ma croissance. Ma mère m’a toujours dit : « c’est plus important d’être heureux que de gagner beaucoup d’argent ». Cette idée était certainement liée à son expérience personnelle ; elle avait du s’éloigner de sa famille après la guerre pour suivre le travail de mon père et elle en avait beaucoup souffert .

copyright Max Torregrossa, galerie VivoEquidem.Même si je suis arrivé relativement tard à la peinture, dès que j’ai commencé j’ai ressenti très nettement que cette activité m’ouvrait vraiment la vie. La peinture me faisait découvrir tout un monde que je ne connaissais pas ; elle m’offrait une nouvelle façon de regarder les choses. Pour la première fois j’ai senti que ma vie pouvait avoir un sens. Aux Beaux Arts j’étais dans une très bonne classe, avec mes collègues on a créé dès le début une petite cellule créative, très unie. Enfin j’avais la possibilité de parler de mes expériences et de pouvoir les partager avec des gens qui avaient la même sensibilité que la mienne. Je suis encore en contact avec mes anciens collègues et chaque fois que je retourne à Munich je les retrouve. En fait j’ai plus de copains à Munich qu’à Paris !

Après mon diplôme j’ai travaillé dans des ateliers à Munich et j’ai fait ma première exposition personnelle dans une très bonne galerie où d’ailleurs j’expose encore maintenant. Et là j’ai rencontré une Parisienne que j’ai suivie à Paris, j’aurais dû rester six mois…..désormais 15 ans sont passés.

Mes pérégrinations

Au début çà a été très difficile, je ne parlais pas français et j’étais assez déprimé. J’avais trouvé un atelier à Argenteuil et quand je montais sur la terrasse du bâtiment je voyais au loin une petite Tour Eiffel et je me disais que si j’avais mis une belle carte postale de Paris dans mon atelier à Munich ça aurait été beaucoup plus joli, et je regrettais d’avoir quitté mon pays.

Je suis resté 2 ans à Argenteuil. Après j’ai eu un atelier dans la Cité internationale des Arts sur la Butte Montmartre et j’ai habité à Barbés. J’aimais beaucoup ce quartier, c’était très vivant, plein de gens différents. Ensuite j’ai travaillé un peu dans le quartier Mouzaïa et finalement j’ai terminé mes pérégrinations en arrivant dans mon atelier actuel de la rue des Annelets. C’est un rez-de-chaussée de 50m2 avec une double source de lumière, une façade vitrée et des velux au plafond, ce qui constitue parfois une vraie contrainte dans mon travail.

Je suis dans ce nouvel atelier qui se trouve à deux pas de chez moi et du Parc des Buttes Chaumont, depuis 2 ans. Dans le bâtiment il y a d’autres artistes parmi lesquels un peintre qui a à peu près mon âge et avec lequel j’ai un échange très régulier. Je regarde ses tableaux et lui à son tour regarde les miens. Pendant un an et demi on s’est seulement observés, ce n’est que depuis 6 mois qu’on a commencé à parler et à ouvrir nos ateliers l’un et l’autre. On cause de notre travail et je trouve que nos échanges sont très fructueux. On se critique aussi mais toujours avec bienveillance, d’ailleurs on a deux styles de peinture très différents mais j’aime regarder le travail d’autres artistes, c’est tellement enrichissant. Je cherche à me m’approcher de leurs œuvres sans avoir dans la tête une image prédéfinie. Il faut d’abord regarder, en restant ouvert, sans aucun préjugé et après on laisse sortir les mots.

Mon atelier, mon refuge

copyright Max Torregrossa, galerie VivoEquidem.Dans mon atelier il y a des pots de peinture partout, parce que je fabrique mes couleurs, mes acryliques, moi-même.
Je n’aime pas la consistance des couleurs qu’on trouve sur le marché, la pâte a très peu de transparence ; la polymérisation laisse une couche de plastique qui diminue la translucidité des couleurs. Dans mes tableaux j’ai besoin d’une transparence qui laisse entrevoir les couches successives, que j’étale les unes sur les autres en créant ainsi un effet de profondeur.

copyright Max Torregrossa, galerie VivoEquidem.Il y a beaucoup de tableaux de formats différents parce que je travaille en série avec un programme précis. Je commence à travailler avec deux trois couleurs sur plusieurs tableaux en même temps, et après je regarde l’effet que ça donne, et j’isole un ou deux tableaux de la série que je trouve meilleurs. Puis je les retravaille. Ce processus peut durer longtemps et parfois même des années. Jusqu’au moment où un tableau est terminé. Souvent, quand je commence une série, je me laisse un peu guider par le support. Le processus est très libre, je commence avec 3, 4 couleurs, je les verse, je bouge un peu la toile et ça donne des formes comme des ondulations ou des lacs. La toile sèche et il y a des bords où il y a plus de concentration de couleurs, et aussi des couleurs qu’on ne peut pas mélanger. Souvent, après, je les laisse, je les laisse longtemps…

Je vais à l’atelier presque tous les jours, je n’attends pas d’être inspiré hein ! J’y vais et je travaille. J’aime bien peindre le matin ; j’emmène ma fille à l’école en passant par le parc des Buttes Chaumont que j’adore, et après je vais directement à l’atelier et je bosse jusqu’à 12 h 00 / 13 h 00. Dans l’après-midi je me balade en vélo ou je visite des musées. Je ne suis jamais fatigué de peindre, je suis plutôt démoralisé par le fonctionnement du marché de l’art, ou par le fait de ne pas avoir encore trouvé à Paris une galerie comme celle de Munich où exposer. Mais jamais je ne suis fatigué de peindre.

Lignes d’horizon, couleurs et formes : une matérialité frémissante

Mon inspiration naît des tableaux que j’ai peint précédemment. Par exemple, jusqu’à l’an 2000 j’ai beaucoup travaillé avec les formes, avec des accumulation de formes. Elles remplissaient la surface du tableau. Après je les effaçais partiellement et de cette manière elles revenaient un peu décalées. C’est un peu comme respirer. On remplit un tableau avec des formes et quand on arrive aux bords : ou on arrête et alors le tableau est fini ; ou on recommence en créant la place pour de nouvelles formes. Avec d’autres effacements, et en étalant d’autres couches de couleurs. Combien de couches ? Je ne compte pas…50 couches, peut-être plus…mais je le sens au poids quand je dois déplacer mes tableaux, il y en a quelques-uns qui deviennent de plus en plus lourds !
Chaque couche de peinture que j’étale laisse une empreinte, voire des traces dans la matérialité de la couche suivante. Il y a toujours des bords, des formes qui réapparaissent comme des dessins, dans la couche supérieure et parfois je reprends certaines de ces traces avec le pinceau ou avec des stylos aquarelles, de telle façon que les pigments de ces lignes se diluent dans la couche suivante. Elles remontent à la surface et elles restent visibles.

copyright Max Torregrossa, galerie VivoEquidem.En ce moment je travaille sur la ligne d’horizon. Ce sont des champs de couleurs avec des séparations horizontales. En même temps je continue à être intéressé par la luminosité des mes couleurs. Dans le passé j’ai travaillé beaucoup avec des couleurs très vives : le jaune, le rouge, les bleus. Mais en ce moment avec les lignes d’horizon, je préfère aller vers des teintes plus sombres, des bleus sur des bruns. Même dans les sombres il y a une lumière qui vient des couches que je pose l’une sur l’autre ; et l’effet que j’obtiens est quelque chose de très étonnant.

Il y a des évènements qui m’ont marqué comme la naissance de ma fille, qui m’a conduit à élargir dans mes tableaux la séparation verticale à trois voire 5 ou plus de champs verticaux . Il y eu aussi la guerre de l’ex-Yougoslavie ou le 11 septembre 2001. Mais il n’y a pas toujours une influence directe, un évènement peut travailler en moi des années avant de se manifester dans mon travail. Et un jour subitement je me rends compte qu’une certaine chose qui m’a marqué est là dans le tableau que je regarde.
La séparation en trois parties de mes tableaux, liée comme je l’ai dit à la naissance de ma fille, m’a fait penser que la vie à trois est plus facile que la vie à deux. Finalement la séparation avec trois champs de couleurs est témoin de ce changement.

Antérieurement au contraire je faisais une séparation bien au milieu du tableau. C’était toujours deux couleurs ou deux formes qui se confrontaient et c’était un peu bloqué, je dirais "raide". De temps en temps je donne des titres à mes œuvres par exemple "Yougoslavie", "Paysage" ou le nom de la région où je suis né. On y trouve de grandes formations granitiques, dont les formes m’ont inspiré des tableaux. Mais en même temps je veux que le regard des gens soit libre. C’est pour ça que je ne mets pas souvent de titres.

Peindre est thérapeutique… J’ai fait moins de bêtises !

Quand on peint on est connecté en permanence avec quelque chose qui est plus grand que nous-mêmes. Appartenir, s’unir à cette énergie, c’est réconfortant. Il y a un courant qui est là depuis toujours ; si on regarde la beauté et la perfection de la peinture de la Renaissance, on ressent cela. Il faut rester humble mais continuer à chercher jusqu’au moment où ça explose à nouveau, jusqu’à ce que quelque chose s’ouvre à nouveau.

Nous vivons une période complexe et il faut faire avec… Ce n’est pas une grande époque pour l’art mais il faut continuer à garder le goût de la recherche, continuer à travailler avec la matière, accumuler la matière, continuer à créer… Comment peindre aujourd’hui ? C’est ça la véritable question, et non pas "quoi peindre". Parce que l’on peut peindre n’importe quel sujet. C’est clair il y a toujours le rêve de faire avancer la peinture en elle-même, et son histoire.

- Photos : copyright Max Torregrossa, galerie VivoEquidem : vues de l’atelier, portrait de l’artiste et de son environnement.

Propos recueillis par Veronica Collalti, octobre 2007

Atelier 3
25, rue des Annelets
75019 Paris

Tél : 01 42 00 14 78 ou 06 88 40 85 48

Email : atelier@bert.rueckert.fr

Sites :
Bert Rueckert
Galerie Wittenbrinck

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Réactions
par Adjim - le : 18 octobre 2007

Bert Rückert

Très bon témoignage,

Je vis un peu comme le peintre, j’ai un petit tableau 80 F que j’ai réalisé en Auvergne chez un copain peintre aussi.

Ces sentiments de procréation ; quand on rêve et que subitement ce dernier se matérialise, le BONHEUR…

Vivre son art est un Art…

Chapeau !!!

Répondre à Adjim

par Mine - le : 15 novembre 2007

Bert Rückert

J’aime beaucoup vos couleurs, elles sont magnifiques, c’est en contemplant votre illustration du grand bestiaire des animaux que j’ai découvert des infos sur google… c’est agréable de voir un peu votre travail : votre effet de matière est assez surprenant, je comprends votre plaisir de superposer les couches, de laisser jouer le temps et cette autre NRJ, celle "de plus grand que nous", je peinds un peu, pas assez, car je travaille, mais de regarder, de lire votre témoignage, simple et humble, me donne le goût, cet indicible besoin au fond de soi, d’y retourner, allez… cette douce souffrance, quand on a pas repris les pinceaux, les couteaux avec la peur au ventre de ne plus savoir faire…
Merci

Répondre à Mine

par Mamily - le : 27 mai 2017

Bert Rückert

Bonsoir. J’ai découvert 2 de vos oeuvres dans l’émission de C. CelaC qui recevaitl’écrivain Marc Levy et qui ainsi fait connaître des artistes de tout genre. Et je suis friande de tout cela. J’aime les harmonies de vos toiles. Bravo. Continuez.
Mamily

Répondre à Mamily

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