Par Patrick Bezzolato

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Le Funiculaire de Belleville

Conférence du C.H.E.R (Résumé)

Ce texte est un résumé de la conférence présentée dans les locaux de l’URA le 9 février 2012 par Josette Aubry, Bernadette Viola et Patrick Bezzolato, membres du C.H.E.R 19 (Conservatoire Historique d’Études et de Recherches du XIXe arrondissement de Paris).

Bien avant son rattachement à Paris en 1860, Belleville connut une incroyable poussée démographique liée à la forte demande de main-d’œuvre de l’industrie naissante. De 8000 habitants en 1835 à 30000 en 1845 puis à plus de 100000 en 1910, le paisible bourg campagnard devint, avec sa voisine La Villette, une grande cité industrielle. Population encore accrue sous le second empire par ceux qui étaient chassés du centre de Paris par les travaux d’Haussmann. Bien que l’époque fût plus sédentaire et le travail souvent de proximité, à Belleville près de 40000 ouvriers et petits fabricants effectuaient néanmoins près de 4 km à pied pour se diriger vers le centre de Paris, principalement dans les usines et fabriques situées autour de la place de la République.

Le seul transport disponible était l’omnibus à chevaux. La ligne « Belleville - Louvre » était un attelage ne pouvant transporter que 28 personnes et n’allant pas plus haut que le 25 de la rue de Belleville.

S’appuyant sur les nombreuses pétitions reçues dès 1880 et les résultats de l’enquête publique de 1886, les autorités municipales envisagèrent la construction d’une ligne de tramway pour desservir plus efficacement ce quartier. Alors que l’ère industrielle battait son plein, ce mode de transport était déjà présent dans de grandes cités étrangères telles que Philadelphie, Chicago ou Londres. C’est finalement sur le modèle de San Francisco (Californie) que sera conçu le tramway funiculaire de Belleville, une ligne à traction par câble, seule capable d’affronter la succession de pentes de la colline.


Au delà de cette nécessité, le pouvoir ambitionnait de présenter ce bel objet technologique, pionnier sur le continent européen, à l’exposition universelle de 1889 et de se hisser par là même au niveau des deux grandes puissances industrielles du moment, les États-Unis et la Grande Bretagne.

De laborieux pourparlers eurent lieu avec le ministère et surtout la CGO (Compagnie Générale des Omnibus) qui délaissait les quartiers périphériques jugés peu rentables et voyait là une atteinte à son monopole. La ville eut gain de cause et confia le projet, puis l’exploitation sous le nom de la Compagnie du Funiculaire, à l’ingénieur Fournier.

L’exécution des travaux dirigée par Fulgence Bienvenüe, ingénieur de la Ville de Paris, fut laborieuse. Il fallut intervenir dans une rue aux pentes variables, de faible largeur à certains endroits, très passagère et fortement encombrée. Malgré ces difficultés le Funiculaire fut mis en service le 27 mai 1891 devant une foule de Bellevillois très enthousiaste.


A l’instar de son homologue californien, les voitures seront mues par un système de câble sans fin tendu dans une galerie sous la chaussée, permettant la descente ou la montée selon le filin saisi. Le conducteur serre le câble au moyen d’une mâchoire métallique appelée « grip ». L’arrêt se fera en l’abandonnant et en serrant les freins. Deux machines à vapeur installées au dépôt 97, rue de Belleville, de 50 chevaux chacune, mettent en marche l’arbre moteur qui met en mouvement par engrenage la poulie du câble.

Contrairement à San Francisco qui dispose de larges voies permettant une circulation à double sens, le funiculaire de Belleville circulera sur une voie unique en raison de l’étroitesse de la rue de Belleville. La circulation du matériel roulant sera optimisée grâce à sept stations à double voie où les voitures pouvaient s’entrecroiser.

Transportant de 8000 à 10000 personnes par jour, aussi bien accueilli par les ouvriers qui se rendaient au travail que par les ménagères qui faisaient leur marché, la vie du funiculaire fut jalonnée de nombreux avatars.

Une cohabitation difficile au début marquée par des collisions avec les charrettes ou les chevaux qui s’emballaient et percutaient les passants après avoir été effrayés par la trompe d’une des voitures de la Compagnie.

Pannes, rupture fréquente du câble, déraillements, grèves du personnel et, plus graves, ces accidents dont celui du 7 décembre 1891 où une voiture après avoir perdu l’usage de ses freins dévala la pente à vive allure pour finir sa course dans le véhicule montant et blessant 17 personnes.

Malgré ces péripéties, l’émotion fut grande lorsque la ville de Paris annonça en 1909 le remplacement du « funi » par une ligne de métro allant de l’hôtel de ville à la porte des Lilas. Ce fut la consternation et la révolte à Belleville.


De 1891 à 1924, la rue de Belleville fut desservie par un funiculaire

Pétitions, affiches de protestations, le tout soutenu par les journaux locaux, firent plier le conseil municipal. Le funiculaire doublera en aérien le nouveau moyen de transport souterrain. Bien que le projet de la ligne 11 fût suspendu en raison du premier conflit mondial, le déclin avait déjà commencé. D’autres lignes de métro telles que la ligne 2 qui passe par Belleville ou la ligne 7 (actuelle 7bis) qui allait de Jaurès à la Place des fêtes en longeant les Buttes Chaumont furent cause d’une chute de fréquentation. Devant la désaffection progressive et l’accumulation des avaries, le conseil municipal décida la mise en place d’une navette de bus à partir du 18 juillet 1924. Prévue pour trois semaines, son succès et ses recettes entrainèrent sa reconduction sur un an laissant là pressentir aux usagers la fin imminente du « funi ».

Bien que la tristesse fût grande pour ceux qui tenaient tant à leur « funi », ce ne fut pas la même véhémence observée une dizaine d’années plus tôt. On avait changé d ‘époque et les nouvelles générations adoptèrent ce nouveau moyen de transport plus fiable et plus confortable.

La suppression du « funi » fut décidée le 16 juillet 1925, soit plus de trente années après sa création. Ironie de l’histoire, son vrai remplaçant, la ligne « Lilas - Châtelet » fut inaugurée le 28 avril 1935, soit une cinquantaine d’années plus tard par celui qui avait dirigé l’exécution du funiculaire, Fulgence Bienvenüe, devenu entre temps le « père du métro ».

Au seuil des années 2000, on pouvait encore rencontrer un de ces anciens Bellevillois nonagénaires, véritable mémoire vivante du quartier. En nous évoquant le Belleville de leur jeunesse vécu au lendemain de la première guerre mondiale, ils nous racontaient leur vie d’avant, plus conviviale et plus rude qu’aujourd’hui, du logis à l’usine, de l’atelier au zinc, le long de leurs rues animées qui étaient autant de villages reliés par ce « funi » bringuebalant qu’ils affectionnait tant.

A l’heure où le tramway effectue un retour en force sur les seuils de la capitale, certains de leurs descendants se prennent à rêver d’une renaissance d’une « petite monteuse » aussi nécessaire que pittoresque, comme le tramway de la grande cité californienne, classé au patrimoine et devenu une icône indissociable de la majesté de la ville.

Patrick Bezzolato (Responsable du C.H.E.R. 19)

Bien avant ses premières études sur le projet du chemin de fer métropolitain souterrain, Fulgence Bienvenüe (au centre de la photo) dirigea la construction du funiculaire de Belleville mis en service le 25 mai 1891. Quarante cinq ans plus tard, il inaugurera la ligne 11, Châtelet - Porte des lilas qui remplacera de façon définitive le funiculaire disparu en 1925.


À gauche le dépôt du funiculaire situé au 97, rue de Belleville. Dernier témoin de ce site encore visible de nos jours : le blason « Fluctuat nec mergitur » situé aujourd’hui à l’opposé du bâtiment au commencement de la rue Melingue.


Deux machines à vapeur de 50 chevaux chacune installée au dépôt du 97, rue de Belleville, actionnaient l’arbre moteur qui mettait en mouvement, par engrenage, la poulie du câble. Les poulies horizontales guident le câble tout au long de son parcours. La vitesse de ces poulies (23 tours par mn) donne aux voitures une vitesse de 9 km/h.


Les véhicules sont équipés du système de grip qui plonge pour saisir le câble dans le caniveau. Le conducteur effectue un serrage progressif mettant en mouvement le véhicule.


Départ du funiculaire le long de La Caserne du Château d’Eau de la Garde Républicaine (nommée aujourd’hui Jean Verines). Pour rejoindre le terminus rue du Jourdain, le tramway devra parcourir 2025 m et s’affranchira d’une déclivité de 63 m.


Le début de la rue de Belleville, vers 1905, frontière entre quatre arrondissements.
Le funiculaire devait circuler au milieu d’une voie fortement encombrée par les habitants de Belleville et tout type de matériel roulant. A gauche, côté XIXe, le café restaurant bal « le point du jour », à droite dans le XXe, la brasserie « La vielleuse ». L’ensemble de l’îlot sera reconstruit au début des années 1980.


A l’extrémité de la voiture se situe l’agent de conduite. Pour l’arrêt, il actionne le frein à main qui agit sur les roues, le frein à patins qui agit sur les rails. De part et d’autre on aperçoit deux lieux majeurs du Belleville festif et animé d’autrefois, à droite le théâtre populaire qui deviendra le cinéma « Les Folies », à gauche le concert Vermer qui sera également reclassé en salle de projection sous le nom du Floréal, disparu en 1968.


Entre la rue Melingue et la rue de la Villette vers 1913.
Une des grandes prouesses techniques du funiculaire de Belleville était d’absorber les différentes courbes de la rue où il était implanté.


Bâtiment du terminus du Funiculaire devant Saint Jean-Baptiste de Belleville. L’église d’inspiration néo-gothique, a été érigée par l’architecte Lassus, et inaugurée en 1859 en présence du baron Haussmann, préfet de la Seine. C’est le dernier bâtiment public construit à Belleville avant l’annexion.


Accident du 6 janvier 1906. Le grip se rompt provoquant l’emballement du véhicule qui dévale la rue de Belleville à vive allure, coupant la rue des Pyrénées à une vitesse proche des 120 km/h, selon la presse, avant de dérailler et de se placer en travers de la rue du Faubourg du Temple. En panique, les voyageurs sautent en marche, 17 seront blessés. Supplément littéraire illustré du « Petit Parisien ».

Sources Iconographiques :
Photothèque RATP – ESP/CIE/IRC
Musée Carnavalet
Photothèque des jeunes parisiens
Cent ans d’autobus à Paris et en Banlieue d’Alain Clavel
 
Sources bibliographiques :
Histoire de Belleville par Emmanuel Jacomin
Le funiculaire de Belleville par Sheila Hallsted-Baumert
 
En savoir plus : C.H.E.R 19
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Localisation : Le Funiculaire de Belleville

97 Rue de Belleville

- Paris - 75020.

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